La famille de la petite Maélie, qui a été tuée par sa mère, a déposé une poursuite de 3 millions contre la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, lundi. La fillette, qui avait 6 ans lorsqu’elle a été atteinte de 80 coups de couteau, a été signalée à la DPJ quatre fois dans les 15 mois ayant précédé sa mort.

Ce qu’il faut savoir

Maélie a été tuée de 80 coups de couteau par sa mère, qui avait consommé du speed, du GHB et du cannabis, le 23 juillet 2020.

Dans les 15 mois qui ont précédé la mort de l’enfant, quatre signalements ont été effectués à la DPJ « pour un risque sérieux de négligence ».

Le père, la demi-sœur et la grand-mère paternelle de la victime réclament 3 millions au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui chapeaute la DPJ, responsable de ce dossier.

La mère de l’enfant, Stéphanie Brossoit, a fait une psychose après avoir ingéré de la méthamphétamine, du GHB, un gâteau entier de cannabis et un comprimé d’un médicament pour traiter la dépression, le 23 juillet 2020. Armée de deux couteaux, elle a pourchassé sa fille dans leur appartement. La petite Maélie s’est cachée dans une baignoire, mais la mère a défoncé la porte de la salle de bain, qui était verrouillée.

Stéphanie Brossoit a plaidé coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire et a été condamnée à 10 ans de prison, en mars dernier.

Or, les problèmes de consommation de la mère avaient été signalés quatre fois à la DPJ entre avril 2019 et avril 2020. Les signalements concernaient Maélie « pour un risque sérieux de négligence, pour mauvais traitements psychologiques et pour négligence sur le plan éducatif ainsi que sur le plan physique », selon la poursuite du père de la victime, de sa demi-sœur et de sa grand-mère paternelle contre le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui chapeaute la DPJ. La mère avait la garde de l’enfant du lundi au vendredi ; le père, du vendredi au dimanche. Il prétend qu’il n’a pas été informé de « l’ampleur des faits dénoncés » dans les signalements.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La grand-mère Eugenia Augusto peine à retenir ses larmes, avec à sa droite le père, Steve Augusto-Nogeira, l’avocate représentant la famille, MValérie Assouline, et la demi-sœur de la défunte.

Alcool, cannabis, haschich…

Un premier signalement a été effectué le 11 avril 2019. Lors d’une rencontre avec les intervenants de la DPJ, la mère reconnaît qu’elle consomme de l’alcool et du haschich, qu’elle souffre d’une dépression et qu’elle a tenté de se suicider deux mois plus tôt. Le dossier est toutefois fermé trois mois plus tard parce que les faits rapportés sont jugés « non fondés » par les intervenants.

« Au moment de la rédaction du rapport de fermeture [du dossier], le jeune âge et les caractéristiques personnelles de Maélie ne sont fautivement pas considérés par la DPJ, alors que l’enfant n’a que 5 ans et n’est inscrite à aucun milieu de garde, la rendant d’autant plus vulnérable », soutient la poursuite de 25 pages déposée au palais de justice de Montréal, lundi.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

La victime et sa mère, Stéphanie Brossoit

À l’automne 2019, la demi-sœur de Maélie, alors âgée de 16 ans, ne vit plus chez sa mère à cause de ses problèmes de consommation, mais elle lui rend parfois visite. Lors de l’un de ces week-ends, la mère organise une fête pendant laquelle elle boit une quantité importante d’alcool, au point où elle ne peut plus s’occuper de ses deux filles, soutient la poursuite civile. La demi-sœur aînée, qu’on ne peut pas identifier en raison de son âge au moment de l’homicide, « doit s’occuper seule de sa jeune sœur pendant l’entièreté de la fin de semaine ».

Un signalement est effectué dans les jours qui suivent cette fête. « Le jour même où ce second signalement est reçu, la DPJ décide encore de ne pas retenir le signalement, sans même effectuer des vérifications complémentaires sur le terrain », lit-on dans la poursuite.

À la suite du troisième signalement, en mars 2020, les intervenants de la DPJ réussissent à rencontrer la mère de Maélie après trois tentatives infructueuses. Celle-ci leur dit qu’elle fume du cannabis le soir pour l’aider à s’endormir, mais qu’elle ne consomme plus de drogues dures depuis bientôt un an. Elle accepte de se soumettre à des tests de dépistage, mais la DPJ n’entreprend aucune démarche en ce sens. Les tests n’ont donc jamais lieu.

« Un tel test de dépistage aurait aussi été très révélateur, considérant les habitudes de consommation de la mère beaucoup plus importantes et diversifiées que ce qu’elle avait affirmé aux intervenants, lesquelles ressortent des circonstances entourant le décès de Maélie », soulève la poursuite.

Quatrième signalement

Le quatrième signalement est effectué le 15 avril 2020 par des policiers qui se rendent au domicile de Maélie après une violente dispute entre sa demi-sœur, qui s’y trouve en visite, et leur mère.

« La mère frappe sa fille aînée, la prend par les cheveux et tente de mettre son visage sur la cuisinière encore chaude. La Demanderesse se défend et appelle la police. L’enfant Maélie est témoin de l’altercation », note la poursuite.

Le dossier est fermé à nouveau par les intervenants au mois de mai. « Cette dernière décision de fermeture de dossier est prise deux mois avant le décès tragique de Maélie aux mains de sa mère », indique le document judiciaire.

La poursuite menée par MValérie Assouline, avocate aussi impliquée dans la poursuite civile de la famille de la fillette de Granby contre la DPJ, avance que des commissions d’enquête et groupes de travail ont tenté de corriger les lacunes de la DPJ depuis 40 ans.

« La Défenderesse a fait preuve d’incurie et d’insouciance grave dans le dossier de l’enfant Maélie, mais aussi à travers les années », soulève la poursuite.

Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal n’a pas fait de commentaires.

Ce qu’ils ont dit en conférence de presse

On s’entend qu’aucun montant d’argent ne remplacera Maélie, son sourire, sa petite voix, son regard brillant. Aucun montant d’argent ne viendra combler le vide que vit cette famille chaque jour. Mes clients tiennent avant tout à ce que le décès de Maélie ne soit pas en vain. Ils demandent que des actions concrètes soient mises en place pour tout le système de protection de l’enfance.

MValérie Assouline

J’aimerais te faire revenir, te prendre dans mes bras, te coller fort contre moi et te dire : ‟N’aie plus peur. Je suis là et je te protège.” Je t’aime, mon amour, de tout mon cœur.

Steve Augusto-Nogeira, père de Maélie

Jamais je ne pourrai leur pardonner leur insouciance [à la DPJ] face à la situation de ma sœur et moi. C’était mon premier recours pour nous aider. J’ai tant essayé d’aider ma sœur. J’ai tout essayé pour la garder en sécurité. Je m’en voulais de ne pas l’avoir sortie de là, mais avec le recul, ce n’est pas contre moi que je dois en vouloir, mais contre la DPJ.

La demi-sœur de Maélie