Salma* est enceinte. À 16 ans. Un déshonneur, selon sa famille, qui l’envoie au Québec pour se faire avorter. Sans papiers et isolée, elle tombe sous le joug de son oncle violent et contrôlant. Le début d’une relation de « couple » cauchemardesque. Son bourreau agressera même sexuellement leurs deux filles pendant des années.

L’homme de 55 ans de La Prairie a été reconnu coupable la semaine dernière au palais de justice de Longueuil de nombreux crimes sexuels commis envers sa nièce – devenue sa conjointe – et leurs deux filles sur une période de deux décennies. On ne peut le nommer pour protéger l’identité des victimes.

« Il représentait le centre de l’univers de l’adolescente », résume la juge Dannie Leblanc.

Originaire de l’Afrique, Salma s’exile en France pour étudier avec sa sœur. Mais en 2001, au début des classes, elle apprend qu’elle est enceinte. Ses parents sont furieux. Confiée à des proches au Québec, Salma se fait avorter, seule. Elle a jeté le « déshonneur sur toute la famille », lui reproche-t-on. Elle a 16 ans.

Son calvaire ne fait que commencer. Ses parents refusent qu’elle retourne en France. Sans statut au Canada, elle reste chez son oncle de 33 ans. Un soir, il l’agresse sexuellement. Salma demande encore à ses parents de rentrer en France, mais ils refusent. Les agressions s’intensifient. L’adolescente ne voit aucune porte de sortie. Une réunion de famille tourne au vinaigre. L’oncle quitte sa femme et ses enfants et déguerpit sans bagage avec sa nièce dans le nord du Québec. En fuite, ils dorment dans l’auto et même sur des branches de sapin dans la neige.

Elle s’est sentie comme si elle était coupable dans toute cette histoire, rejetée par sa famille. Sans papiers, sans éducation, sans argent, sans famille, elle était à la merci de l’accusé. Elle n’avait aucun contact avec quiconque.

La juge Dannie Leblanc

« Pendant ce long périple, ils ont eu des rapports sexuels tous les jours. Elle n’avait que 16 ans », relate la juge.

Une fois, Salma prend la fuite, pieds nus et sans manteau, malgré le froid. Son bourreau la rattrape et menace de la tuer et de mettre ses morceaux dans un congélateur.

Isolée

Pendant sa captivité, Salma tombe enceinte à plusieurs reprises, mais fait des fausses couches en prenant un cocktail à la demande de l’accusé. Son oncle la traite invariablement de « pute » et lui fait croire qu’il est un médium.

Deux filles naissent de cette union forcée. Son oncle continue de l’insulter et de l’agresser. Salma n’a toujours pas de statut au pays. Aidée par une voisine, elle réussit à s’envoler vers la France, où elle reprend ses études. Mais son bourreau la suivra jusque-là. Elle finit par revenir au Québec, résignée.

Dans leur voisinage, sur la Rive-Sud de Montréal, ils semblent former une « famille normale ». Personne ne sait que son conjoint est en fait son oncle. Salma est toujours aussi prisonnière. L’accusé contrôle toutes ses allées et venues, son cellulaire et son portefeuille. Elle est isolée.

L’horreur se poursuit. À l’insu de Salma, l’accusé agresse sexuellement leurs deux filles de façon régulière depuis le début de leur primaire. Quand sa fille aînée est mal à l’aise de se faire embrasser avec la langue, son père le lui reproche : « Ne fais pas comme ta mère. » Les agressions surviennent à de multiples occasions.

Une friandise ou un repas au restaurant. C’est ce que l’accusé promet à sa fille benjamine pour obtenir des « faveurs » sexuelles.

« Soit tu me laisses te toucher, soit tu me fais une fellation et je te donne un chocolat chaud, sinon tu n’auras rien », lance-t-il à sa fille, alors au primaire.

Les agressions sont parfois particulièrement dégradantes. Elle est en 6e année.

Le choc

Quand elle termine le primaire, la fille benjamine fait preuve d’un grand courage : elle écrit une lettre à sa mère pour lui confier son histoire. C’est le choc pour Salma. Son autre fille dit avoir vécu la même chose. La mère et ses filles se réfugieront dans un centre d’hébergement pour femmes violentées.

Pour la première fois, Salma n’est plus sous le joug de son oncle.

Au procès, l’accusé a nié avoir agressé ses filles et a dépeint une relation fusionnelle et amoureuse avec Salma. Un témoignage « peu crédible » et « invraisemblable », selon la juge Leblanc.

À 16 ans, Salma ne pouvait consentir aux actes sexuels en raison de la relation d’autorité avec son oncle « protecteur ». Ce dernier avait un ascendant « hors du commun » sur sa nièce, une adolescente très naïve et fragile, selon la juge.

Même devenue adulte, Salma n’a jamais pu donner un consentement éclairé, analyse la juge. « Elle a été maintenue dans une position de dépendance par rapport à lui, n’ayant toujours pas acquis de statut légal au Canada, ne possédant pas de carte d’identité ni de permis de travail. »

Le délinquant s’expose maintenant à une sévère peine de pénitencier. Les observations sur la peine auront lieu dans les prochains mois. Il demeure libre d’ici là.

MBruno Des Lauriers et MGabriella St-Onge représentent le ministère public, alors que MAudrey Santerre et MRoxanne Laliberté défendent l’accusé.

*Prénom fictif