La Société québécoise des infrastructures a obtenu dans le plus grand secret une partie de la preuve policière amassée pendant l’enquête avortée sur les allégations de corruption au sein du bras immobilier du gouvernement. Elle compte désormais l’utiliser pour une poursuite civile de 34,5 millions déposée en novembre dernier contre 11 défendeurs à l’identité cachée, révèlent des documents restés confidentiels jusqu’ici.

L’Unité permanente anticorruption (UPAC) avait causé une véritable commotion en annonçant l’abandon de son projet Justesse en 2019, après neuf ans d’enquête. Mais la Société québécoise des infrastructures (SQI, ex-Société immobilière québécoise) n’a pas jeté la serviette. Ses démarches pour obtenir la preuve policière étaient demeurées secrètes jusqu’à ce que La Presse, Radio-Canada et Québecor obtiennent finalement le droit de consulter le dossier et d’en rapporter la teneur.

Les documents rendus publics évoquent une série de transactions immobilières suspectes et des paiements allégués de plusieurs millions à des collecteurs de fonds libéraux, d’abord ébruités en 2016 dans le cadre de l’émission Enquête à Radio-Canada.

Or, plusieurs intervenants n’entendent pas laisser la SQI utiliser ces informations pour sa poursuite. Depuis janvier, ils tentent de faire annuler le transfert secret des documents de l’UPAC et veulent forcer la société d’État à les détruire.

Parmi ces intervenants figurent Édifice 500 Grande-Allée Est inc. et Édifice 500 René-Lévesque Ouest inc., deux compagnies appartenant au grand propriétaire montréalais Georges Gantcheff et ses associés, selon le registre des entreprises. Elles ont mis la main en 2008 sur deux immeubles gouvernementaux pour un total de 220 millions.

Quinze ans après les faits, la SQI tente aujourd’hui de faire annuler ces ventes, révèle un préavis déposé au registre foncier sur les deux propriétés, en marge de sa poursuite contre les deux entreprises de Gantcheff et neuf autres défendeurs inconnus.

« Collecteurs de fonds » libéraux

En plus de ces transactions, la SQI rappelle plusieurs autres informations issues du projet Justesse « qui font partie du domaine public ». Sur la base de ces renseignements, la société d’État a demandé « la communication des fruits de l’enquête » pour déterminer si elle a été « victime d’actes frauduleux ».

La SQI cite d’abord l’émission Enquête qui, en 2016, lui a donné à croire « pour la toute première fois » qu’elle avait pu faire les frais de la corruption.

« Le reportage fait notamment état que : dès son arrivée en 2003 à titre de PDG de la SIQ, Marc-André Fortier aurait participé à un stratagème visant à s’enrichir personnellement en s’associant à des collecteurs de fonds liés au Parti libéral du Québec, soit William Bartlett, Franco Fava et Charles Rondeau », mentionne sa requête.

La SQI rapporte ensuite d’autres informations rendues publiques dans le cadre du reportage, puis du livre PLQ inc., du Bureau d’enquête de Québecor.

Ils révélaient notamment que les quatre hommes étaient soupçonnés de s’être partagé des millions en commissions secrètes après la vente des trois immeubles et la signature de baux à des conditions défavorables pour l’État. Une partie de l’argent aurait ensuite pris le chemin de la Suisse, des Bahamas et du Liechtenstein.

La requête de la SQI cite aussi la vérificatrice générale du Québec, qui a traité en 2017 et 2018 de ces transactions et de baux signés avec des entreprises de l’ancien grand argentier libéral, Marc Bibeau. Le chien de garde de l’État s’est aussi intéressé à une autre vente, celle de Place Québec, acquise pour 45 millions en 2008 par le Fonds FTQ et une compagnie de l’entrepreneur Tony Accurso, aujourd’hui en prison.

La Vérificatrice évaluait à plus de 27 millions l’« impact financier » total de ces ventes et baux désavantageux pour le gouvernement, selon ses rapports déposés en cour.

Aucune accusation n’a été portée contre les personnes mentionnées précédemment, dont les noms apparaissent dans les requêtes de la SQI. Hormis les deux entreprises appartenant à Gantcheff, La Presse n’a pas d’informations non plus permettant d’identifier les défendeurs de la poursuite de 34,5 millions et ignore leur identité.

« Sans précédent »

Nous ignorons tout autant qui sont neuf des onze intervenants demandant l’annulation du transfert de la preuve de Justesse et la destruction de ces documents par la société d’État. Ce dossier fait l’objet d’ordonnances de confidentialité préservant notamment leur anonymat et La Presse ne dispose pas d’information permettant de les identifier, outre les compagnies de Gantcheff.

Avec deux autres personnes à l’identité restée secrète, Édifice 500 Grande-Allée Est inc. et Édifice 500 René-Lévesque Ouest inc. ont déposé la première requête en janvier, où elles dénoncent des démarches « sans précédent ».

« Sur une période de plus de deux ans durant laquelle les intervenants n’ont jamais été avisés de quelque façon que ce soit de l’existence même des procédures de la SQI, cette dernière s’est approprié des éléments de preuves préalablement obtenus par l’UPAC et par la Sûreté du Québec en vertu de leurs larges pouvoirs d’enquête », mentionnent leurs avocats.

Selon elles, la SQI a ainsi mis la main sur la preuve de l’UPAC sans intervention du tribunal pour « protéger les droits des tiers visés ».

Qu’est-ce que la Société québécoise des infrastructures ?

La Société québécoise des infrastructures (anciennement Société immobilière du Québec) a pour mission de développer et de gérer le parc immobilier du gouvernement. L’organisme fournit aux ministères et à d’autres sociétés d’État des services de construction, d’exploitation et de gestion immobilière.

En savoir plus
  • 43,8 milliards 
    Coût total des projets dans laquelle était impliquée la Société québécoise des infrastructures en 2022  
    Source : Site web de la Société québécoise des infrastructures