(Ottawa) Un ancien responsable de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) accusé d’avoir divulgué des secrets affirme qu’il menait en fait une opération de renseignement clandestine – une opération qui devait rester ultra-discrète en raison de taupes au sein des forces de l’ordre canadiennes.

Cameron Jay Ortis a témoigné devant la Cour supérieure de l’Ontario qu’il tentait de tromper les cibles de l’enquête en les faisant utiliser un nouveau service de courrier électronique, soi-disant sécurisé, qui permettrait aux agents du renseignement d’accéder à leurs communications privées.

Les journalistes et le grand public avaient été exclus de la salle d’audience pour le témoignage de M. Ortis, le 2 novembre dernier, mais une transcription caviardée a maintenant été rendue publique.

La Couronne affirme que M. Ortis a envoyé anonymement des documents classifiés en 2015 à des personnes qui « présentaient un intérêt » pour une enquête de la GRC.

L’accusé, âgé de 51 ans, a plaidé non coupable d’avoir violé la Loi sur la protection de l’information en révélant des secrets à trois personnes et en tentant de le faire dans un quatrième cas.

La Couronne soutient que M. Ortis n’avait pas le pouvoir de divulguer des documents classifiés et qu’il ne le faisait pas dans le cadre d’une sorte d’opération d’infiltration.

Mais M. Ortis a déclaré au jury qu’il n’avait pas commis de crime et qu’il n’avait pas perdu de vue sa mission.

Au contraire, dit-il, il agissait pour protéger les Canadiens.

M. Ortis était directeur du groupe de recherche opérationnelle de la GRC, qui compilait et développait des informations classifiées sur les cellules terroristes, les réseaux criminels transnationaux, les acteurs de la cybercriminalité et l’espionnage commercial.

Il a déclaré qu’en septembre 2014, il avait été contacté par un homologue d’une agence étrangère qui l’avait informé d’une menace particulièrement sérieuse.

« C’était très convaincant, et cela démontrait clairement une menace directe et sérieuse, a déclaré M. Ortis lors d’un interrogatoire de son avocat, Mark Ertel. On m’a strictement interdit de partager ces informations avec qui que ce soit. »

M. Ortis a déclaré que l’allié étranger, qu’il n’est pas libre de nommer, a parlé d’un plan visant à encourager les cibles criminelles à commencer à utiliser un service de cryptage en ligne appelé Tutanota – une opération de « vitrine » créée par des agents de renseignements pour espionner les personnes malveillantes.

Sans le dire à personne, M. Ortis a décidé d’agir, en dressant une liste de quatre destinataires possibles dans le cadre de l’opération « Nudge » (ou « pousser »), signifiant de pousser ces cibles à adopter le nouveau service de messagerie.

C’est à ce moment-là que M. Ortis dit qu’il a commencé à attirer les cibles de l’enquête en leur promettant des informations secrètes – y compris des parties alléchantes de documents – dans le but réel de les amener à communiquer avec lui via Tutanota.

Il y a eu une autre tournure intrigante.

« J’avais des informations sensibles provenant de plusieurs sources selon lesquelles chacun des sujets avait compromis ou pénétré des organismes d’application de la loi canadiens », a déclaré M. Ortis.

« Je pense… qu’ils avaient des taupes. »

M. Ortis a affirmé au jury que c’était l’une des raisons pour lesquelles il n’avait pas informé ses supérieurs de l’opération « Nudge » – soulignant sa « grande inquiétude concernant les informations sur les menaces internes dont on m’a fait part ».

« Je craignais que cela puisse permettre à quelqu’un de contrecarrer mes efforts », a-t-il dit.

M. Ortis a déclaré qu’il se sentait également lié par les mises en garde strictes placées sur les informations par son homologue.

Le jury a pu entendre dire au procès que la GRC dispose de protocoles détaillés pour mener des opérations d’infiltration.

M. Ortis a déclaré qu’il avait décidé que la politique des opérations secrètes ne s’appliquait pas à « Nudge », car, contrairement à une mission d’infiltration traditionnelle, il n’y avait aucune intention de collecter des preuves ou des renseignements criminels.

Au premier jour de M. Ortis à la barre des témoins, Me Ertel lui a demandé s’il avait trahi la GRC.

« Absolument pas », a-t-il répondu.

L’avocat de la défense a également demandé à M. Ortis s’il regrettait ses actes.

« Eh bien, je ne prends pas de décisions en fonction de ma carrière ou de mes perspectives de carrière, mais je n’aurais pas pu entrevoir ou imaginer que tout cela se produirait », a dit M. Ortis.

« Donc, bien sûr, dans un certain sens, je regrette tout ce qui est arrivé à tout le monde au cours des quatre dernières années, mais ce que j’ai fait n’était pas mal. »

M. Ortis a été arrêté en septembre 2019 et plusieurs appareils électroniques ont été saisis dans son appartement d’Ottawa.

Il a déclaré au tribunal que son arrestation avait été « dévastatrice » pour sa carrière et que sa réputation publique avait été complètement détruite.

M. Ortis a affirmé que sa famille, ainsi que ses amis du « bon vieux temps » en Colombie-Britannique où il a vécu et étudié, l’ont soutenu, « mais pas ses amis et collègues à Ottawa et ses contacts professionnels ».