Tina* a 7 ans. Elle pense être une agente secrète. C’est du moins ce que son père lui a fait croire. Si elle révèle leur secret, il sera attrapé par une « agence méchante ». Elle se tait donc. Jusqu’à ses 14 ans où elle enregistre l’horreur. Son père, qui l’a agressée sexuellement une centaine de fois, a écopé mardi de huit ans et demi de détention.

« Tu as affiché beaucoup de courage. De dire : là, c’est assez, je dénonce mon père. Beaucoup de courage, parce que c’est une horreur qui durait depuis plusieurs années et qui impliquait une personne que tu admires et que tu aimes. C’est beaucoup sur les épaules d’une fille de 14 ans. »

C’est le message que la juge Dannie Leblanc a tenu à livrer à l’adolescente au terme d’une audience émotive au palais de justice de Longueuil. Le résidant de Brossard de 38 ans, arrêté il y a quelques mois, a plaidé coupable à des chefs d’inceste et de contact sexuel. Pour protéger sa fille, on ne peut révéler son identité.

« Ce n’est pas de ta faute. C’est la faute de ton père. Ce n’est pas toi la méchante qui a brisé la famille. Il faut bien que tu comprennes ça », a insisté avec empathie la juge Leblanc.

Tina le confie à la cour : elle est une « fille à papa ». Son père était tout pour elle. Encore aujourd’hui, malgré les « horribles abus », elle décrit son père comme un « bon père », voire l’un des « meilleurs ». C’est de cette admiration et de cette naïveté propre à l’enfance que le bourreau a lâchement abusé.

Tina a seulement 7 ans quand les agressions commencent. Son père lui fait croire qu’elle aura des « supers pouvoirs » si elle ingère une « crème glacée spéciale qui ne peut pas fondre ». Toute son enfance, le père forcera constamment sa fille à lui faire des fellations.

« Tout était normal au début. Il me faisait croire que j’étais une agente secrète », raconte Tina.

Dès qu’elle a 8 ans, le père agresse sexuellement sa fille avec pénétration. D’abord toutes les trois semaines, puis de plus en plus souvent, jusqu’à une ou deux fois par semaine. Il oblige aussi sa fille à se doucher avec lui, puis à la sécher et à l’habiller. Les agressions se déroulent en l’absence de sa mère.

« J’ai compris en grandissant que ce qui m’arrivait n’était pas normal. J’ai longtemps pensé comment je pouvais me sortir de ce pétrin. Une chose me retenait : la peur de perdre mon père », a confié Tina à la cour.

C’est à 14 ans qu’elle trouve la force de dénoncer son père. L’adolescente enregistre sur son cellulaire une énième douloureuse agression. L’enregistrement audio illustre de quelle façon le père fait chanter sa fille en lui disant qu’elle ne mérite pas ses privilèges et ses objets.

« Quand j’ai dénoncé mon père, je voulais arrêter les abus. Je voulais tout, sauf perdre mon père », a répété Tina devant le tribunal.

Le procureur de la Couronne, MBruno Des Lauriers, a souligné de nombreux facteurs aggravants pour justifier la suggestion commune de huit ans et demi, dont l’abus de confiance « total », le jeune âge de la victime et la répétition des agressions. Comme principal facteur atténuant, le procureur a relevé la reconnaissance rapide de culpabilité de l’accusé.

« Mon client voulait à tout prix éviter que la plaignante ait à témoigner », a souligné MCarlos Bolivar, l’avocat de la défense.

« Vous avez causé des dommages extrêmement importants sur votre fille et votre famille », a affirmé la juge en s’adressant à l’accusé.

« Vous avez brimé complètement son apprentissage d’une sexualité. C’est une enfant, dans tout ce qui a de plus innocent. Juste pour votre propre bénéfice personnel. Vous lui avez fait croire, sous une forme de jeux, qu’elle est une agente secrète, qu’elle pourrait avoir des conséquences. [Elle avait] la pression de ne pas briser sa famille », a dénoncé la juge.

L’homme sera inscrit pendant 20 ans au Registre des délinquants sexuels.

*Nom fictif