Le SWAT dans un vidéoclip. Des verses de rap à teneur carcérale. Des gestes « provocants » envers des gangs ennemis. La réalité dépasse parfois la fiction, surtout dans certains clips qui génèrent des milliers de vues sur YouTube et sont désormais évoqués devant les tribunaux.

« J’ai pas eu l’choix de did the race [faire la course]/J’men fous j’vais en procès/Les fedz [la police] sont mad [fâchés] j’ai did the race/Ils disent j’ai foncé sur eux avec ma whip [voiture]. »

Ce ne sont ni des aveux ni un témoignage à la cour, mais bien des paroles de musique.

Le rappeur Septus Grolls, alias Bloodshot ou OGC (Original Guns Clapper), explique avoir fui les policiers dans sa chanson Jail Story, diffusée sur YouTube avant la tenue de son procès. Il chante qu’il va « beat the case » (gagner son procès). Il est néanmoins déclaré coupable quelques mois plus tard de possession d’une arme prohibée avec des munitions, de fuite et d’agression armée sur un agent de la paix. Il s’était filmé en direct sur Snapchat alors que les policiers le pourchassaient.

Lisez « Il nargue les policiers en tentant de les fuir »

Quand il se targue d’avoir « did the race », il parle de cet évènement bien réel pour lequel il est maintenant en attente d’une sentence.

La police considère d’ailleurs l’homme de 23 ans comme un membre de Pop Team, défini par les autorités comme un gang de rue de Montréal-Nord.

C’est le portrait inédit brossé par l’agent Sébastien Pitre, du renseignement criminel au module gangs de rue du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), lors d’une audience en prévision de sentence tenue début novembre.

Il filme le GTI

Lorsque le Groupe tactique d’intervention (GTI) du SPVM intervient chez lui le 29 octobre 2020, M. Grolls s’empresse de filmer la scène… pour l’inclure dans le vidéoclip de sa chanson Veulent ma tête. Le morceau a désormais accumulé presque 200 000 vues sur YouTube. Pas de mise en scène ici : on entend clairement un agent du SPVM donner des instructions à Septus Grolls. « Là, ce qu’on veut, c’est te mettre les menottes, après ça on va toute prendre le temps de t’expliquer », lui crie le policer du GTI.

Le tout s’achève sur un montage et des effets spéciaux rappelant le jeu vidéo Grand Theft Auto. Le GTI était présent sur les lieux dans le cadre d’une perquisition en matière de stupéfiants. Le rappeur a d’ailleurs plaidé coupable dans ce dossier.

Paroles ou aveux ?

Le rappeur américain Young Thug, qui fait actuellement face à la justice aux États-Unis, n’est donc pas le seul à voir sa musique déposée en preuve contre lui devant les tribunaux. Le rap de Septus Grolls a été décortiqué par l’agent Sébastien Pitre, qui a offert son interprétation de plusieurs paroles de chansons.

« J’tais dans le S1 haut droit/on attendait le drone pour la boîte » : dans la vidéo YouTube Jail Story, Septus Grolls fait référence au secteur réservé aux gangs de la prison de Rivière-des-Prairies, explique l’agent de renseignements dans son rapport présenté à la cour.

Le jeune homme prétend se balader avec une arme à feu, car des personnes veulent le tuer, selon M. Pitre. Il chante : « Si j’porte un thang/c’est parce que les N** veulent ma mort. »

« 3 up, 4 down »

Le policier du module gangs de rue a interprété certains signes de main spécifiques aux gangs, selon lui. Dans des captures d’écran tirées d’une vidéo YouTube et présentées à la juge, on peut voir M. Grolls pointer trois doigts vers le haut. Il pointe ensuite quatre doigts vers le bas. Selon l’agent Sébastien Pitre, ces gestes sont loin d’être anodins.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE D’UNE VIDÉO YOUTUBE ET PRÉSENTÉE À LA JUGE

Septus Grolls pointe trois doigts vers le haut. Il s’agit d’un signe pour expliquer que son gang règne, croit la police.

M. Grolls « pointe trois doigts vers le haut pour faire la promotion de son groupe, pour signifier que le trois règne », a rapporté M. Pitre. Le chiffre trois est associé à Zone 43, qui désigne dans le monde interlope le secteur de Montréal-Nord.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE D’UNE VIDÉO YOUTUBE ET PRÉSENTÉE À LA JUGE

Septus Grolls pointe quatre doigts vers le bas. Il s’agirait d’un geste symbolique pour humilier les membres d’un gang adverse, selon l’agent du SPVM Sébastien Pitre.

Il est vu faisant le chiffre 4 avec ses doigts, mais cette fois-ci vers le bas, ce que l’agent Pitre interprète comme une provocation envers un groupe ennemi, les Profit Kollectaz. Le chiffre 4 est associé à ce gang de Rivière-des-Prairies.

Les gangs de rue de Montréal-Nord et de Rivière-des-Prairies sont impliqués dans un violent conflit de longue date. Cette querelle est à l’origine de plusieurs évènements de coups de feu, de tentatives de meurtre et de meurtre ces dernières années.

Ces signes, selon le spécialiste, évoqueraient un message clair, soit « 3 up, 4 down » : le 3 est en haut, le 4 est en bas.

Questionné par la procureure MGeneviève Bélanger, Sébastien Pitre a reconnu que le rap était un style de musique. Il a toutefois ajouté qu’on ne pouvait comparer Bloodshot « à des rappeurs comme Loud ou Souldia », citant ces deux artistes plus présents sur la scène commerciale en exemple. « Les clips [de Deptus Grolls] sont très particuliers […] Souldia et d’autres artistes parlent d’où ils viennent et de criminalité, mais ils ne sont plus dans des conflits actifs. Il n’y a pas de provocation envers certaines personnes. »

Pas de frontières

Les activités du gang de rue de Montréal-Nord Pop Team dépassent les frontières de la métropole, apprend-on dans le rapport du module de renseignement déposé en cour. Plusieurs membres du groupe ont récemment été arrêtés ou interpellés par les autorités à Vancouver et à Toronto.

Les 43 et leurs rivaux de Rivière-des-Prairies, les Profit Kollectaz, ont été impliqués dans une fusillade en plein centre-ville de Toronto le 8 août 2020, selon le rapport de l’agent Sébastien Pitre. « Les motifs derrière le conflit et la raison d’être à Toronto sont inconnus, mais il est possible que les deux gangs tentent de s’y installer afin de continuer leurs activités criminelles », note le spécialiste en gangs de rue.

Les plaidoiries sur la peine à imposer à l’accusé sont prévues à la fin du mois de février. MPhilippe Vallières-Roland et MGeneviève Bélanger représentent le ministère public, alors que Septus Grolls est défendu par MDominic Côté.

Qu’est-ce qu’un membre de gang ?

Sur quoi les corps policiers québécois se basent-ils pour déterminer l’appartenance à un gang de rue ? Il existe six critères pour désigner un criminel comme « membre de gang ». Le quatrième critère est obligatoire : sans ce dernier, l’individu est considéré uniquement comme « une relation » du gang.

1. Renseignement d’une source fiable selon lequel le sujet est membre d’un gang

2. Rapport de surveillance de la police confirmant que la personne entretient des liens avec des membres reconnus du gang

3. Aveux de la personne

4. Participation directe ou indirecte de la personne à un crime de gang (critère sans lequel on ne peut être considéré comme membre de gang)

5. Résultat d’un procès confirmant que la personne est membre d’un gang

6. Marques d’identification au gang, possession d’articles ou de symboles propres aux gangs (tatouages, vêtements, etc.)

Source : rapport de l’agent Sébastien Pitre, du SPVM, déposé en cour

Les différentes allégeances de gangs de rue à Montréal-Nord, selon le SPVM

• LP Block 3369

• Zone 43 (Four Trey)

• UNG (Up North Gang)

• J. A. P. (Jeunesse au pouvoir)

• Pop Team

• G-Baby gang
Le rapport de l’agent Sébastien Pitre mentionne le meurtre toujours non résolu de Jesse Dave Chatelier, tué par balle à Montréal-Nord en janvier 2021. « Depuis le meurtre de Jesse Dave Chatelier, alias G-Baby, nous voyons apparaître une appellation, soit le G-Baby gang »

Source : rapport de l’agent Sébastien Pitre, du SPVM, déposé en cour