L’ancien président de l’enseigne Planète Poutine a été arrêté par la Sûreté du Québec pour avoir orchestré avec l’aide d’un notaire corrompu une série de fraudes totalisant plus de 20 millions de dollars. Des prêteurs, dont un juge de la Cour du Québec, pensaient investir dans des projets immobiliers, souvent destinés à accueillir des chaînes de restauration rapide. Leur argent aurait toutefois été détourné par les suspects.

Ce qu’il faut savoir :

  • Cinq suspects sont accusés d’avoir fraudé pour plus de 20 millions de dollars en sollicitant des prêts pour installer des stations-service et des restaurants rapides près de routes importantes.
  • L’argent aurait été détourné. Des prêteurs, dont un juge, ont perdu des sommes importantes.
  • Un notaire fait partie des accusés et aurait donné un vernis légal au stratagème, selon la police.

Benoit Charron, qui avait acquis l’enseigne Planète Poutine en 2015 avant de se retirer de l’entreprise en 2022, a été formellement accusé de fraude aux dépens de plusieurs prêteurs et investisseurs, mercredi, au palais de justice de Laval. L’ancien notaire lavallois Pierre Aubin, qui aurait joué un rôle central dans la fraude selon la police en rédigeant des actes notariés pour dépouiller les victimes, a aussi été arrêté et accusé. Même chose pour Mickael Voyer, un collaborateur du groupe.

Deux autres suspects sont visés par un mandat d’arrêt, mais n’ont pas encore été arrêtés, selon les documents déposés en cour. Il s’agit d’Olivier Gaudet, un ancien employé de Planète Poutine qui aurait servi de prête-nom, ainsi que du promoteur Jean-François Désormeaux, considéré comme la tête dirigeante de la fraude.

Huit ans d’enquête

L’enquête de la police, amorcée en 2015, a été baptisée Projet Oribus, en référence aux anciennes chandelles françaises qu’évoquait Honoré de Balzac dans ses romans. Elle a été menée par les spécialistes de la Division des enquêtes sur la criminalité financière organisée de la Sûreté du Québec, qui avaient eux-mêmes été alertés par l’Autorité des marchés financiers.

« Entre avril 2014 et janvier 2017, les suspects se sont approprié illégalement des fonds, estimés à plusieurs millions, qui devaient servir aux développements immobiliers », a précisé le corps policier dans un communiqué. Aucune des allégations de la police n’a été prouvée en cour à ce stade.

Selon la déclaration sous serment d’une enquêteuse déposée au palais de justice afin d’obtenir une ordonnance judiciaire dans ce dossier, le groupe des suspects avait mis la main sur une vingtaine de lots destinés à des projets immobiliers, souvent près de routes provinciales, dans des endroits comme Brompton, Sainte-Julienne, Trois-Rivières, Saint-Charles-Borromée, Saint-Esprit et Saint-Lin.

« Toutes les transactions reliées aux terrains sont notariées et le notaire instrumentant la majorité de ces transactions participe au stratagème frauduleux », précise la policière.

Selon l’enquête, le promoteur Jean-François Désormeaux sollicitait des investisseurs qui avaient de l’argent à prêter pour des projets immobiliers. Il était question d’installer des stations-service ou des restaurants rapides sur ces terrains situés stratégiquement. M. Désormeaux évoquait des discussions avec Tim Hortons, Subway et Ultramar. Il installait sur ses terrains des affiches avec le logo de Planète Poutine et sollicitant des franchisés désireux d’ouvrir des restaurants Valentine, Thaïzone ou Cora.

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Le promoteur Jean-François Désormeaux est visé par un mandat d’arrêt.

La créance des prêteurs était censée être garantie par une hypothèque sur les terrains. Mais le développement ne se concrétisait presque jamais. Plusieurs lots avaient été achetés pour beaucoup plus cher que leur valeur réelle.

Par un jeu complexe de transactions notariées, les créances étaient modifiées, transférées à d’autres terrains sans grande valeur, reléguées au second ou au troisième rang, échangées contre des actions de sociétés coquilles par les fraudeurs.

Il devenait impossible pour les prêteurs de se rembourser en saisissant le terrain, lorsqu’ils réalisaient que quelque chose clochait. « Les prêteurs privés se retrouvent donc sans aucune garantie », résume l’enquêteuse.

Différents acteurs du stratagème ont aussi déclaré faillite lorsque les prêteurs ont tenté de récupérer leurs billes.

La police croit qu’une partie de l’argent a été utilisée pour se procurer des voitures de luxe et des bijoux. Une résidence en Floride appartenant à Benoit Charron et estimée à 4,8 millions a aussi été frappée par une ordonnance de blocage avec l’aide des autorités américaines.

Un notaire qui inspirait confiance

Selon les documents judiciaires, l’un des prêteurs floués est le juge de la Cour du Québec Manlio Del Negro. Alors qu’il était avocat, en 2015, lui et sa femme avaient accepté de financer l’un des projets immobiliers des suspects.

Un jour, le couple a été informé que la femme de M. Del Negro avait apparemment signé un acte de quittance pour sa créance sur le terrain, en présence du notaire Pierre Aubin. La femme jurait qu’elle n’aurait jamais fait une telle chose en connaissance de cause.

« Il m’a dit les grandes lignes. Il m’a dit : “Il faut que tu signes ici.” Je lui ai fait confiance parce que c’est un notaire », a-t-elle témoigné dans le cadre d’une action civile pour tenter de récupérer son argent.

« On a fait confiance à un notaire, là, quand même. Il a certains devoirs ! », a-t-elle expliqué.

Un autre prêteur, Gaston Leduc, a aussi expliqué aux policiers qu’il s’était fié au notaire, qui inspirait la confiance, selon le résumé rédigé par l’enquêteuse.

« Il me répondait toujours que ça avait l’air de beaux projets, qu’il avait l’air d’y avoir un beau potentiel. Au final, j’ai été transféré sans avoir vérifié, je faisais confiance à ce qu’on me disait, et le fait que tout était notarié me mettait en confiance », a-t-il raconté.

Le notaire Pierre Aubin a entre-temps été accusé d’infractions disciplinaires par son ordre professionnel et il a quitté la profession.

Lorsqu’il était confronté par des prêteurs inquiets de ne jamais revoir leur argent, Benoit Charron pouvait répliquer sèchement en dénonçant leur « acharnement déplorable » à son endroit, selon la déclaration de la policière.

« Soyez aviser [sic] que nous n’entendons aucunement continuer a ce [sic] faire harceler par vous », aurait-il écrit à l’un d’eux.

Le dossier reviendra devant le tribunal le 18 janvier prochain.