Un accidenté, qui a cru mourir gelé en bordure d’autoroute après être sorti de son véhicule, a gain de cause devant la SAAQ

Un homme qui vit avec des séquelles permanentes laissées par des engelures après une sortie de route avec son véhicule en 2018 devra être indemnisé par la SAAQ, a statué une juge du Tribunal administratif du Québec (TAQ).

Ce qu’il faut savoir

• Un résidant de Shawinigan vient d’être reconnu victime de l’opération d’un véhicule motorisé même si ses blessures sont survenues alors qu’il avait quitté le véhicule.

• Cette décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ) pourrait faire jurisprudence, selon l’avocat Marc Bellemare.

Marco Hamelin revenait d’un souper de Noël au soir du 8 décembre 2018 au volant de son véhicule lorsqu’il a fait une sortie de route sur une autoroute à Shawinigan. Les conditions météo étaient alors glaciales, il y avait de la glace noire et de la neige poussée par le vent sur la route.

« Je n’étais pas habillé chaudement, j’allais juste du restaurant à chez moi », dit M. Hamelin en entrevue.

L’homme connaissait bien le secteur et a tenté d’aller chercher des secours à pied en marchant vers une route secondaire. Il s’est vite enlisé dans la neige jusqu’à la taille, a perdu ses souliers et n’avait pas de manteau. En proie à l’hypothermie, il a décidé de revenir à son véhicule, mais a fini par s’écrouler, inconscient, en bordure de l’autoroute.

« J’ai pensé que c’était fini, dit-il. Je commençais à mourir par les extrémités. »

Il a finalement été secouru par d’autres automobilistes et s’est réveillé le lendemain dans un lit d’hôpital.

Victime de graves engelures aux mains et aux pieds, M. Hamelin a passé trois mois à l’hôpital après son accident. Il a dû être amputé de deux orteils, en plus de subir des greffes de peau aux mains et de faire deux mois de réadaptation.

« Encore aujourd’hui, j’ai des douleurs aux mains et aux pieds. Je suis médicamenté. J’ai moins d’équilibre aussi. »

« L’anxiété est embarquée »

Durant sa convalescence, M. Hamelin a fait une demande d’indemnisation à la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ), mais a reçu une réponse négative.

« Je n’avais plus aucune source de revenus. Et là, j’ai appris que j’étais laissé à moi-même. L’anxiété est embarquée. Une chance que j’avais de la famille proche pour me soutenir », se remémore M. Hamelin.

La SAAQ a déterminé que les blessures subies par M. Hamelin sont arrivées après son départ du véhicule, et donc qu’il s’agissait d’un évènement à part, non couvert par le régime d’indemnisation des automobilistes.

Pour Marc Bellemare, ancien ministre de la Justice, avocat spécialisé dans le domaine des accidents de la route et des victimes d’actes criminels, et qui a représenté Marco Hamelin devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ), cette interprétation ne tenait pas debout.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Me Marc Bellemare

Sans l’usage du véhicule, il n’y aurait pas eu de dommages.

Me Marc Bellemare, avocat de Marco Hamelin

« Le Québec est immense, on a 60 000 km de routes, dit-il. Si on s’enlise au coin de Sherbrooke et De Lorimier, on peut essentiellement aller à l’hôpital à pied. Mais sur une autoroute isolée, en pleine nuit, en plein hiver, et il faut que tu rentres chez toi, c’est une autre histoire. »

MBellemare note que son client a reconnu avoir bu de l’alcool de façon modérée ce soir-là, mais ajoute que cette information n’est pas pertinente au dossier. « On a un système de responsabilité sans égard à la faute. On indemnise des bandits et des assassins, le système ne fait pas de distinction, alors on peut bien indemniser quelqu’un qui rentrait chez lui après un souper », dit-il.

Nouvelle évaluation

Dans sa décision rendue le 6 décembre, la juge Natalie Lejeune du TAQ écrit que « les circonstances relatées par Monsieur laissent voir qu’il se retrouve à marcher dans la neige et à se faire des engelures parce qu’il s’est déplacé en automobile pour se rendre à la maison. L’automobile n’était plus en mouvement et, peu importe que Monsieur soit sorti volontairement du véhicule, il avait l’usage de son automobile pour se trouver sur le bord de la route. L’hypothermie s’est donc matérialisée dans le cadre général de l’usage de l’automobile ».

La juge Lejeune a donné raison à M. Hamelin et demandé à la SAAQ de procéder à une « nouvelle évaluation à la suite de cette conclusion ».

Cette décision pourrait faire jurisprudence, note MBellemare. « Il y a des gens qui ne savent pas que ça peut arriver, ces accidents-là. Et souvent, les gens abandonnent après un premier refus de la SAAQ. L’accidenté peut aller en révision, et c’est négatif dans 90 % des cas. Ensuite, c’est le TAQ. C’est un parcours du combattant. Je vois souvent des gens qui regrettent d’avoir abandonné il y a des années. »

Sophie Roy, relationniste pour la SAAQ, note : « Le Tribunal administratif du Québec, dans le cadre des faits soumis, a estimé que le requérant a fait la démonstration du lien de causalité entre l’accident et son état. De son côté, la Société analyse actuellement la décision et, considérant les délais pour demander une révision, elle n’émettra aucun commentaire à ce stade. »