Surdoses mortelles et agressions sexuelles : le GHB, qui peut être fabriqué facilement à grande échelle avec des produits en vente libre, brise des vies. Et les tribunaux n’en tiennent pas suffisamment compte quand ils punissent des producteurs de la « drogue du viol », déplore la sœur d’une victime.

Trois hommes responsables de l’un des plus gros réseaux de production de GHB au Canada s’en sont tirés il y a peu avec des peines de moins de 10 ans.

Sébastien Turcotte, 44 ans, Éric Matte, 42 ans, et Jean-Philippe Robitaille, 45 ans, ont plaidé coupable l’automne dernier à plusieurs chefs d’accusation relatifs au trafic de stupéfiants au palais de justice de Saint-Jérôme. Ils ont respectivement écopé de 7, 6 et 5 ans de prison, selon la suggestion commune des parties.

Sophie Livernoche s’étonne d’une peine aussi clémente. Le GHB, une drogue assez forte, aurait causé la mort de sa sœur Kim en 2021. Utilisée avec de mauvaises intentions, cette substance peut saccager une vie, et même tuer.

Sophie Livernoche est également abasourdie du manque de prévention et de la vision stéréotypée du GHB. « Il y a des gens qui en consomment volontairement, dit-elle, mais d’autres s’en font donner sans le savoir. Les façons d’être intoxiquée, c’est vaste. »

Réseau bien rodé

Selon les détails révélés lors de l’enquête sur remise en liberté des trois bandits, les quantités de produits chimiques achetés et transformés par le trio auraient pu mener à la production de 14 à 43 millions de doses de GHB. Vendue à l’unité, cette drogue aurait pu rapporter des revenus de 14 à 43 millions de dollars.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Sébastien Turcotte, Éric Matte et Jean-Philippe Robitaille ont été arrêtés en février dernier au terme d’une longue enquête.

Entre le 14 décembre 2021 et le 12 avril 2022 seulement, il y a eu de 76 à 89 seaux remplis de GHB transportés par l’entremise de l’organisation, soit l’équivalent de 346 210 doses et 1 084 910 doses, toujours selon les documents déposés lors de l’enquête sur mise en liberté (enquête caution).

Les trois hommes faisaient face à plusieurs chefs d’accusation relatifs à la production, la distribution et la possession de substances illicites.

Notons qu’ils n’ont pas admis les faits évoqués lors de l’enquête caution, où un enquêteur avait expliqué les dessous de l’enquête policière ayant permis de démanteler le laboratoire.

Le trio menait ses affaires grâce à un réseau bien rodé, selon les détails provenant de l’enquête sur mise en liberté, sur lesquels ses membres n’ont pas eu à plaider coupable ou non coupable.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Matte a été arrêté chez lui, à Terrebonne.

Ils avaient été arrêtés en février 2023 au terme d’une longue enquête de l’Escouade régionale mixte (ERM) Rive-Nord, apprend-on dans les documents. Les policiers surveillaient étroitement Sébastien Turcotte et Éric Matte dès 2021. Ils sont alors déjà soupçonnés d’être impliqués dans la distribution à grande échelle de GHB.

Le tout avait des allures d’entreprise familiale où certains s’occupaient de l’approvisionnement et d’autres, de la fabrication : Jean-Philippe Robitaille a d’ailleurs reconnu s’être procuré divers produits qu’il a remis à son beau-frère, Sébastien Turcotte. Ce dernier utilisait trois matières premières pour produire du GHB.

On pouvait se procurer les « ingrédients » légalement via les entreprises Opti-Mixx et Ingrédients Dépôt, selon le résumé des faits à l’enquête caution.

Entre 2014 et 2022, Turcotte s’est procuré plus de 36 000 litres de matières premières et 4300 seaux pour 915 000 $, payé comptant, selon des documents judiciaires déposés lors de l’enquête caution.

On y indique qu’il transportait lui-même ces produits au laboratoire en camion U-Haul. Le tout était ensuite livré sous forme liquide dans des seaux de 20 litres.

Un labo à la maison

L’un des trois membres du réseau digne de la télésérie Breaking Bad avait tout à disposition chez lui pour fabriquer et transformer la drogue. Le laboratoire se trouvait dans une installation extérieure temporaire annexée au domicile de Turcotte, à Terrebonne. Des produits, dont cinq brûleurs et cinq cuves, ont été trouvés dans le cabanon et le garage lors d’une perquisition après l’arrestation.

C’est aussi dans ce petit abri collé à la maison que les policiers ont repéré d’énormes quantités des trois ingrédients faciles à obtenir pour produire la « drogue du viol ».

L’équipe de la SQ a saisi tout un magot : 260 000 $ répartis dans six enveloppes, principalement en billets de 50 $ ou de 100 $ dans le coffre-fort de la chambre principale de la maison. Les policiers ont également trouvé 40 000 $ dans un support à chaussures.

« Ça doit être plus encadré »

Sophie Livernoche, dont la sœur est morte dans des circonstances nébuleuses après avoir consommé du GHB, met en garde la population contre les dangers de cette drogue trop répandue et sous-estimée, selon elle.

PHOTO FOURNIE PAR SOPHIE LIVERNOCHE

Kim Livernoche a perdu la vie en 2021.

Sa sœur Kim Livernoche a perdu la vie en 2021, vraisemblablement après avoir été droguée au GHB, dans des circonstances toujours floues puisque l’enquête sur sa mort est toujours en cours.

Selon le coroner, sa sœur est morte d’un arrêt respiratoire en raison d’un mélange de somnifères et de GHB. Elle prenait des médicaments pour mieux dormir depuis plusieurs années.

« J’ai toujours vu ça comme la drogue du viol que tu te faisais donner à ton insu, qui te fait oublier ta soirée. Mais plusieurs personnes n’en connaissent pas les impacts, y compris ceux qui en vendent et en consomment.

« J’ai l’impression qu’on ne punit pas. Je crois vraiment que tout ce qui est drogue forte, ça doit vraiment être plus encadré », résume-t-elle.

Lisez l’article « Drogue du viol : “Ça m’est arrivé à moi aussi” »

Des trousses de détection aux urgences

Les salles d’urgence du Québec sont maintenant équipées de trousses permettant de détecter la présence de la drogue du viol, également connue sous le nom de gamma-hydroxybutyrate (GHB), dans l’urine des patients. Ces trousses facilitent notamment le signalement des agresseurs sexuels et permettent de mieux accompagner les victimes. La fenêtre de détection varie selon les substances, mais le GHB peut être détecté dans les 10 à 12 heures suivant l’intoxication.