Le crime organisé se cache derrière l’épidémie de vols de voitures touchant le Canada, conclut la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Et le Québec en fait particulièrement les frais en raison de la présence du port de Montréal, devenu la principale plaque tournante au pays.

Un crime à la mode

Les bandits volent des véhicules plus que jamais : les signalements concernant l’implication du crime organisé dans les vols de véhicules ont explosé en 2023, selon un document récent du Service canadien de renseignements criminels (SCRC). Le rapport note que les vols de véhicules liés aux groupes du crime organisé (GCO) ont augmenté de 62 % par rapport à 2022. Traditionnellement, les gangs de rue et autres groupes criminels ont plusieurs sources de revenus illicites : vente de stupéfiants, traite de personnes, blanchiment d’argent, trafic d’armes à feu. Mais les policiers notent que leur implication dans ces activités a stagné et parfois même diminué depuis cinq ans. Plusieurs semblent s’être rabattus sur le marché des vols de véhicules, qui, au cours des dernières années, a augmenté considérablement, résume le document.

La piraterie en hausse

Voler des voitures, un crime sans violence ? Pas tout à fait, déduit-on à la lumière du rapport du SCRC. En Ontario, on constate une augmentation de la « piraterie routière », soit les agressions à l’endroit du conducteur permettant au voleur de prendre la maîtrise du véhicule. Entre 2021 et 2022, les services de police de Toronto, de York et de Peel estiment que ce phénomène a doublé. Les policiers attribuent cette augmentation à, paradoxalement, l’amélioration des dispositifs antivol qui rendent plus risqué de dérober des véhicules lorsqu’ils sont garés. « On s’attend à ce que la piraterie routière devienne de plus en plus fréquente à mesure que les citoyens tenteront de faire de leur véhicule personnel une cible plus difficile à atteindre pour les voleurs. »

Port de Montréal, plaque tournante

Le port de Montréal est le principal point de départ des véhicules volés à travers le pays, souligne à grands traits le rapport du SCRC. « Le transport maritime par conteneurs est le principal moyen d’exporter les voitures à l’échelle internationale », note-t-on dans le rapport. Avant de se rendre outre-mer, la voiture est laissée quelques jours en stand-by, dans un quartier résidentiel ou un stationnement discret. Les criminels impliqués vont ensuite l’inspecter pour s’assurer qu’il n’y a aucun dispositif de localisation. « Comme cela devient de plus en plus une menace pour la sécurité publique et la sécurité des agents, la meilleure façon de perturber ces réseaux pourrait être de concentrer l’application de la loi sur la tentative d’exportation du véhicule aux points d’entrée », suggère le rapport.

Une vague d’est en ouest

Le phénomène du vol de véhicules est présent partout au Canada. On note toutefois que dans l’ouest du pays, les vols sont souvent des crimes opportunistes, les véhicules étant volés alors qu’ils sont laissés en marche ou déverrouillés. Au Québec et en Ontario, des réseaux bien rodés possiblement liés au crime organisé utilisent des méthodes plus sophistiquées, selon le rapport. L’Alberta talonne désormais le Québec en termes de vols de véhicules malgré un bassin de population moindre. Mais le Québec n’est pas en reste : les groupes criminels établis dans notre province visent de plus en plus les véhicules en Ontario et dans les provinces de l’Ouest, selon les autorités. À Montréal, les vols de véhicules sont en hausse de 29 % depuis le début de 2023, selon les données du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Modèles récents prisés

Propriétaires de VUS neufs, restez aux aguets : les voitures dérobées sont souvent des modèles récents, soit ceux produits entre 2020 et 2023. Les véhicules convoités par les malfaiteurs sont les Toyota (RAV4 et Highlander), les Honda CR-V, les Ram 1500, les Jeep (Wrangler ou Grand Cherokee), les Ford F-150 et des VUS General Motors (Chevrolet Suburban, GMC Yukon et Chevrolet Tahoe). Pourquoi ces modèles-là ? Ils sont prisés par le marché international parce qu’ils sont relativement chers et non offerts en Afrique et au Moyen-Orient. C’est d’ailleurs dans ces deux endroits qu’est envoyée la majeure partie de la marchandise volée.

Véhicules déguisés

Tous les véhicules sont identifiés par un numéro unique attribué lors de la construction, le NIV. Afin de passer sous le radar, les voleurs « refrappent » le NIV, pour reprendre une expression issue du jargon des criminels. Autrement dit, ils le remplacent. Le nouveau NIV est soit un numéro légitime qui n’a pas encore été attribué par le constructeur ou celui d’un modèle similaire existant. Lorsque le vol d’un véhicule est signalé au Canada, le NIV est enregistré comme étant volé, ce qui rend presque impossible une nouvelle immatriculation. « Mais une fois qu’un véhicule volé a été “refrappé” avec succès, il est facile de l’immatriculer dans la province où il a été volé à l’origine, ou dans une autre province », indique le rapport obtenu par La Presse.

Un milliard de pertes

Si ces vols rapportent aux malfaiteurs, ils sont coûteux pour les compagnies d’assurance, soutient le document. Les réclamations liées au phénomène coûtent aux compagnies d’assurance du pays environ 1 milliard de dollars chaque année. Si les engins à quatre roues sont prisés par les voleurs, c’est parce qu’ils sont de plus en plus chers : l’inflation a fait monter le prix des véhicules neufs. En juin 2023, le coût moyen d’une voiture était supérieur de plus de 20 % à celui de l’année précédente. « Comme la valeur des véhicules va probablement continuer d’augmenter, ce qui représente un potentiel de profit encore plus important, le SCRC évalue que l’implication du crime organisé sur le marché va encore s’accroître », explique-t-on dans le rapport.

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Des voleurs bien organisés…

Les réseaux de vols de voitures sont des organisations structurées où chacun a son rôle. Petit tour d’horizon qui permet de mieux comprendre les rouages.

Repéreur

Le repéreur scrute les rues et les stationnements commerciaux en quête des véhicules prisés. Il peut soit vendre les informations au milieu interlope, soit faire suivre la voiture ciblée à l’aide d’un dispositif GPS.

Voleur

Il peut s’agir d’un membre de gang ou d’un jeune délinquant. Sa tâche est simple : voler la voiture rapidement et discrètement.

Conducteur

Ce dernier, encore une fois généralement un jeune bandit, est recruté pour conduire le véhicule jusqu’au port de Montréal.

… jusqu’au sommet de la pyramide

La majorité des véhicules volés étant destinés à l’« exportation », les groupes criminels organisés comptent également sur un réseau structuré à haut niveau.

Facilitateur

C’est un intermédiaire qui recense les modèles et le nombre de véhicules demandés par l’acheteur.

Acheteur

Cette personne, qui habite au Canada ou à l’étranger, commande et achète des véhicules volés à travers le pays.

Exportateur

Au sommet de la pyramide, l’exportateur coordonne le déplacement des véhicules volés vers l’étranger. Il peut utiliser des sociétés légitimes ou créer ses propres sociétés en utilisant de faux documents ou des prête-noms. Les policiers évaluent qu’un exportateur réalise un bénéfice de 50 000 $ par conteneur, où se trouvent généralement deux véhicules.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

En savoir plus
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    C'est le nombre de groupes criminels opérant sur le marché du vol de véhicules au Québec. On en compterait 45 en Ontario et 14 dans les autres provinces.
    Source : Service canadien de renseignements criminels