(Ottawa) La Couronne estime que Cameron Jay Ortis, un ancien responsable du renseignement à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), devrait être condamné à une peine exemplaire de plus de vingt ans de prison pour avoir enfreint la Loi canadienne sur la protection de l’information.

Lors de l’audience de détermination de la peine, jeudi à Ottawa, la procureure Judy Kliewer a déclaré au juge Robert Maranger, de la Cour supérieure de l’Ontario, que la peine devait envoyer le message clair que toute révélation de documents secrets a de graves conséquences.

« Par ses gestes, il a trahi la GRC et mis en péril la sécurité des Canadiens », a déclaré la procureure.

Jon Doody, un avocat d’Ortis, a fait valoir que son client – qui n’a aucun casier judiciaire – devrait simplement être condamné à la détention préventive après son arrestation en septembre 2019.

Ortis a épuisé toutes ses économies, ne possède aucun actif et sera à jamais marqué par cette affaire criminelle, a déclaré Me Doody au tribunal. « Il a tout perdu. »

La défense a déposé par ailleurs plusieurs lettres de soutien à Ortis, dont une de l’ancien diplomate Michael Kovrig, qui a passé plus de 1000 jours en détention en Chine. M. Kovrig a écrit que laisser Ortis « croupir dans une cellule, par souci de dissuasion et de représailles, me semble être un gaspillage d’une ressource précieuse et un exercice de cruauté gratuite ».

Cameron Jay Ortis avait été reconnu coupable par un jury, en novembre, de trois chefs d’accusation de violation de la Loi sur la protection de l’information et d’un chef pour avoir tenté de le faire. Chacun de ces chefs d’accusation est passible de 14 ans de prison.

La procureure Kliewer a plaidé jeudi au tribunal que la Couronne demandait la peine maximale, et consécutive, pour les deux premiers chefs d’accusation de violation de la loi, ce qui signifierait 28 ans de prison. Pour les deux autres infractions, la Couronne suggère au juge que les peines soient purgées concurremment.

Le jury avait également déclaré Ortis coupable d’abus de confiance et d’utilisation frauduleuse d’un système informatique. La Couronne suggère également des peines concurrentes pour ces infractions.

Puisque la Couronne demande une peine globale pour plusieurs infractions, le « principe de totalité » obligerait le juge à s’assurer que la peine globale ne sera pas excessive — ou « cruelle et inusitée ».

La Couronne estime que compte tenu de ce principe, une peine d’emprisonnement de 22 à 25 ans de prison serait appropriée.

Transmis des renseignements secrets

Ortis, aujourd’hui âgé de 51 ans, dirigeait le groupe de recherche opérationnelle de la GRC, qui rassemblait et développait des informations classifiées sur les cybercriminels, les cellules terroristes et les réseaux criminels transnationaux.

Il a plaidé non coupable devant le tribunal de toutes les accusations, notamment celle d’avoir enfreint la Loi sur la protection de l’information en révélant des renseignements secrets à trois personnes « intéressant la police » en 2015, et en tentant de le faire dans un quatrième cas.

Au procès, Ortis a juré qu’il n’avait pas trahi la GRC. Il a plutôt soutenu qu’il avait proposé du matériel secret à des cibles d’enquête dans le but de les inciter à utiliser un service de cryptage en ligne mis en place par une agence de renseignement alliée pour espionner ses adversaires.

La Couronne a soutenu qu’Ortis n’avait pas le pouvoir de divulguer des documents classifiés et qu’il ne le faisait pas dans le cadre d’une « opération d’infiltration » légitime. Le poste d’Ortis lui confiait les clés des informations les plus sensibles auxquelles la GRC avait accès à l’époque, a rappelé jeudi la procureure Kliewer au juge Maranger.

Ortis mérite une peine qui montrera au public et aux partenaires internationaux du Canada que le système destiné à protéger les informations « a du mordant », a-t-elle déclaré au juge.

Après son arrestation, à la fin de 2019, Ortis avait été brièvement libéré sous caution, pour ensuite être incarcéré dans une prison d’Ottawa pendant plus de trois ans. Il a de nouveau été libéré sous caution en décembre 2022, en attendant la tenue de son procès, qui a eu lieu l’automne dernier.

En appliquant les règles habituelles sur la détention préventive, la Couronne affirme qu’Ortis devrait être crédité de cinq ans et quatre mois de prison.

Pour la défense, Me Doody a raconté les difficultés inhabituelles rencontrées par Ortis pendant sa détention, en raison de la nature de l’affaire, et il a proposé un calcul différent pour la peine.

Il a plaidé qu’Ortis avait passé des années seul, en isolement protecteur, qu’il avait contracté la COVID-19 et avait été fouillé à nu et radiographié à plusieurs reprises au cours de la consultation, dans un établissement sécurisé hors site, de documents liés à sa cause.

En fin de compte, Me Doody a demandé que son client soit condamné à sept ans et deux mois de prison – la période, en fait, que le tribunal devrait lui créditer pour sa détention préventive, selon lui.

Après avoir entendu les arguments des deux parties, jeudi, le juge Maranger a indiqué qu’il rendrait sa décision sur la peine le 7 février.