(Saguenay) Un gobelet et deux pailles : 22 ans après le meurtre de Guylaine Potvin, une percée scientifique majeure a permis aux policiers d’entamer une filature et de récupérer ces quelques articles qui ont finalement trahi l’homme aujourd’hui accusé du crime.

Ce qu’il faut savoir »

Le 28 avril 2000, Guylaine Potvin est retrouvée morte dans son appartement de Jonquière, au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Vingt-deux ans après les faits, Marc-André Grenon a été arrêté à Granby puis accusé d’avoir tué et agressé sexuellement la jeune femme. Il a plaidé non coupable.

Une technologie novatrice d’analyse génétique qui a permis aux enquêteurs de faire débloquer leur enquête est au cœur de son procès qui a commencé cette semaine.

« On dit parfois que la justice avance lentement, mais ce qu’on peut certainement dire, c’est qu’elle a le bras long », a affirmé gravement aux jurés le procureur chargé du dossier, MPierre-Alexandre Bernard, lors de sa déclaration d’ouverture au procès de Marc-André Grenon.

L’homme de 49 ans est accusé d’avoir agressé sexuellement et tué Guylaine Potvin, une affaire qui avait fait grand bruit à l’époque dans la région. Il a plaidé non coupable aux deux chefs d’accusation et son procès a débuté cette semaine au palais de justice de Chicoutimi.

PHOTO FOURNIE PAR LA SQ

La victime, Guylaine Potvin

Audrey St-Pierre, une amie, mais aussi la dernière personne à avoir vu la jeune femme vivante, a décrit en après-midi la vision d’horreur qu’elle a eue en découvrant son corps inanimé dans son appartement de Jonquière le 28 avril 2000.

Au premier jour du procès, mardi, elle a livré un témoignage empreint d’émotion qui a tiré des larmes aux nombreux membres de la famille de Guylaine Potvin qui suivent le déroulement des procédures dans la salle d’audience.

Quelque chose clochait

Comme la victime, Audrey St-Pierre est originaire du Lac-Saint-Jean et elle étudiait à l’époque au cégep de Jonquière en techniques d’éducation spécialisée. Les deux jeunes femmes se voyaient régulièrement, au point qu’elles s’appelaient chaque matin « pour se jaser ça ».

« On était très différentes, mais complémentaires. On se confiait beaucoup », a témoigné Audrey St-Pierre devant le jury.

La veille du crime, en soirée, les deux jeunes femmes avaient d’ailleurs travaillé tard pour finaliser un travail qu’elles devaient présenter le lendemain. Or, le matin venu, Guylaine Potvin ne répondait pas au téléphone.

« Elle ne s’était pas levée, ce n’était pas dans son habitude », s’est remémorée Audrey St-Pierre, alors paniquée à l’idée d’arriver en retard pour la présentation du travail.

Elle se rend donc chez Guylaine Potvin dans l’espoir que la jeune femme a simplement oublié de se réveiller. Mais en entrant dans l’appartement, elle découvre sa chambre sens dessus dessous.

Rapidement, Audrey St-Pierre constate que quelque chose cloche. D’abord, Guylaine Potvin se trouve sur le dos, dans son lit, dénudée, « ce qui n’est pas son genre ».

« On voyait toutes ses parties. Elle était couchée, son visage était bleu, ses mains avaient comme des marques », a-t-elle décrit, en versant quelques larmes.

Une présence « suspecte »

Arrivés sur place, les policiers concluent rapidement à une « présence suspecte » sur la scène, a relaté en matinée le procureur responsable du dossier.

Comme « une scène de crime, ça parle beaucoup », un technicien en identité judiciaire est appelé sur place. Une ceinture et une boîte de préservatifs sont saisies et le corps de Guylaine Potvin est envoyé à Montréal pour une autopsie.

Une « analyse biologique » permettra de conclure à la présence d’un autre individu sur la scène au moment du crime, un homme.

« Mais le profil ADN ne permet pas à lui seul d’identifier formellement quelqu’un. Ça prend une comparaison », a décrit MBernard, en s’adressant aux jurés.

Or, il n’existe aucun témoin direct du crime. Plusieurs pistes sont explorées, mais l’enquête piétine. « Plusieurs suspects seront éliminés de la liste des suspects, petit à petit, mais force est de constater que les jours, les mois, les années passent sans qu’on soit capable de faire correspondre l’ADN trouvé sur la scène », a souligné MBernard.

Une technologie novatrice

Jusqu’à l’entrée en scène, en juin 2022, du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML). L’organisme gouvernemental, qui regroupe des experts de plusieurs disciplines, propose alors aux enquêteurs responsables du dossier de l’ajouter à ce qui est désigné comme le « projet PatronYme ».

Cette technologie développée récemment se concentre sur le chromosome Y, une composante de l’ADN que seuls les hommes possèdent. Elle consiste à puiser dans de grandes banques d’ADN auxquelles le LSJML a accès pour associer un profil génétique à un nom de famille.

PHOTO SOPHIE LAVOIE, LE QUOTIDIEN

Le procureur, MPierre-Alexandre Bernard

Ce chromosome [Y], il nous provient de notre père qui l’a reçu de son propre père. […] De père en fils, il y a transmission de ce chromosome. Une autre chose également qui, dans les mœurs, dans les conventions sociales occidentales, est transmise de père en fils, c’est le nom de famille.

MPierre-Alexandre Bernard, procureur chargé du dossier

Le nom de Marc-André Grenon ressort alors et est jugé comme « prioritaire » dans l’enquête.

Une filature est autorisée à son endroit, durant laquelle un gobelet et deux pailles seront récupérés « légalement », a pris soin de préciser MBernard. L’ADN du suspect récolté sur ces articles est comparé à celui trouvé sur la scène de crime de Jonquière. Il concorde.

Forts de cet élément, les policiers obtiennent un mandat pour arrêter Marc-André Grenon et prélever chez lui un échantillon d’ADN qui, là encore, concorde.

Le 12 octobre 2022, Marc-André Grenon est ainsi arrêté, 22 ans après le meurtre de Guylaine Potvin. Et ce, grâce à la science, qui « permet de voir où l’homme est aveugle », dixit MPierre-Alexandre Bernard.