Le commissaire nouvellement retraité Jean Dugré se souvient très bien du dossier de Mario Bastien, qui a tué Alexandre Livernoche, 13 ans, en 2000, après avoir été libéré de prison pour une raison de surpopulation.

Il s’était occupé du cas à la fin des années 1990, alors que Bastien était dans le système fédéral. Il se rappelle que des évaluations psychiatriques concluaient que le délinquant était un sadique et que lui-même se vantait d’avoir fait d’un membre de sa famille une esclave sexuelle.

Je l’ai maintenu en incarcération, car j’étais convaincu qu’il allait récidiver dans la mort ou par un dommage grave, comme des agressions sexuelles sur des enfants. C’était exceptionnel de maintenir quelqu’un en incarcération jusqu’à l’expiration du mandat.

Jean Dugré, au sujet de Mario Bastien

Mais ces rapports – c’est ainsi que cela se passait à l’époque – n’ont pas été partagés avec le système provincial, où s’est retrouvé Mario Bastien par la suite.

Si cela avait été le cas, Bastien ne se serait probablement pas retrouvé en liberté, que ce soit pour une raison de surpopulation dans les prisons ou pour une autre. Et il n’aurait jamais tué Alexandre Livernoche, 13 ans.

Aujourd’hui, ces informations sont partagées entre les deux services correctionnels.

Une vocation

La première fois que Jean Dugré est entré dans un pénitencier en tant que commissaire à temps partiel, en 1989, les lourdes portes métalliques se refermaient continuellement derrière lui, et il a « commencé à avoir la chienne », dit-il.

Le premier détenu qu’il a vu en audience a été Raymond Fernandez, bras droit de Vito Rizzuto assassiné en Italie en 2013. « J’ai été impressionné ! En sortant, j’ai dit à mon collègue commissaire à temps plein : ‟Je ne suis pas sûr que je suis dans la bonne business.” »

L’incertitude de ses débuts s’est évaporée et est devenue une vocation, puisqu’il a été commissaire durant 33 ans, un record de longévité au Québec et au Canada. Il a pris sa retraite à 71 ans.

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Frank Cotroni, en août 1998

Au début de sa longue carrière, il s’est notamment occupé de la libération conditionnelle de Frank Cotroni, capo de la mafia montréalaise durant les années 1950 et 1960, et frère du parrain de l’époque, Vic Cotroni.

Son avocat m’a demandé de retirer la condition de ne pas fréquenter des personnes ayant des antécédents criminels. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu que son client connaissait uniquement ces gens-là.

Jean Dugré, au sujet de Frank Cotroni

Passage au provincial

Moins drôle fut toutefois son intervention dans le dossier du pilote mercenaire Raymond Boulanger, condamné pour avoir importé 4000 kilogrammes de cocaïne en avion, directement de la Colombie à la piste de Casey, au nord de La Tuque, en novembre 1992.

Boulanger bénéficiait d’un ancien programme correctionnel qui n’existe plus aujourd’hui, l’examen expéditif, qui permettait à un condamné non violent de sortir au sixième de sa peine.

Mais un dirigeant de l’époque à la Commission des libérations conditionnelles du Canada s’était ingéré dans le dossier pour empêcher la sortie de Boulanger ; Jean Dugré avait dénoncé la situation, ce qui a mené à sa suspension.

M. Dugré s’est battu devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, a gagné et a été réintégré après trois ans. Devenu toutefois un paria, son mandat de dix ans n’étant pas renouvelé, il s’est retrouvé à la Commission québécoise des libérations conditionnelles en 2004.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.