(Ottawa) Le général à la retraite Jonathan Vance, ancien chef d’état-major de la défense, a été condamné mercredi à 80 heures de travaux communautaires, après avoir plaidé coupable en matinée à une accusation d’entrave à la justice, dans une affaire qui a ébranlé les fondements de l’armée canadienne.

Le juge Robert Wadden, de la Cour de l’Ontario, a prononcé la peine mercredi, lors d’une comparution virtuelle. L’ancien commandant des Forces armées canadiennes, qui a comparu par visioconférence, a aussi été condamné à 12 mois de probation.

« Vous avez plaidé coupable devant moi à un chef d’accusation d’entrave à la justice, et je vous déclare coupable de cette infraction », a déclaré le juge Wadden, avant d’accepter une absolution conditionnelle de l’affaire, ce qui signifie que M. Vance n’aura pas de casier judiciaire.

Le juge a également ordonné à M. Vance de s’abstenir de contacter la majore Kellie Brennan, avec qui il avait eu une « relation intime de longue date » qui a commencé en 2001 et a duré jusqu’au début de 2021, selon un exposé conjoint des faits déposé au tribunal.

L’exposé des faits indique que M. Vance n’a pas divulgué cette relation, ce qui l’a exposé à la possibilité d’une accusation en vertu de la Loi sur la défense nationale. Il a ensuite tenté de « dissuader » Mme Brennan de révéler aux enquêteurs militaires la nature exacte et complète de leur relation.

Le juge Wadden a décrit l’action de M. Vance comme une « infraction grave », en particulier compte tenu de sa position d’autorité à titre de chef d’état-major pendant plus de cinq ans.

« C’est grave parce qu’il s’agit d’un abus de confiance, a-t-il dit. C’est grave parce que ça impacte toute la société canadienne de voir un commandant de votre stature se comporter de cette manière. C’est grave parce que ça a des impacts personnels. »

Pourtant, le juge, en lui accordant l’absolution conditionnelle, a également déclaré que M. Vance semblait être « un homme de bonne moralité » qui avait contribué à la mission du Canada en Afghanistan et aux Forces armées canadiennes au cours de sa carrière.

Le juge Wadden a ajouté qu’il pensait que M. Vance, vêtu mercredi d’un complet et portant des lunettes, était toujours en mesure de contribuer à la société.

Enquête sur des allégations d’inconduite

La police militaire avait accusé Jonathan Vance d’un chef d’entrave à la justice en juillet dernier, à la suite d’une enquête de plusieurs mois concernant des allégations d’inconduite sexuelle. L’accusation d’entrave a ensuite été renvoyée devant le système judiciaire civil.

M. Vance, qui a été chef d’état-major de la défense de juillet 2015 à janvier 2021, n’a été accusé d’aucune inconduite sexuelle inappropriée.

La relation de M. Vance avec Mme Brennan est devenue publique pour la première fois en février 2021, lorsque Global News a rapporté deux allégations distinctes d’inconduite sexuelle contre lui, quelques semaines seulement après que le général a démissionné de son poste de chef d’état-major.

L’une de ces inconduites présumées concernait un courriel obscène que M. Vance aurait envoyé à une subalterne en 2012, et qui avait été soulevé auprès du ministre de la Défense de l’époque, Harjit Sajjan, par l’ombudsman militaire en 2018. M. Vance a précédemment refusé les demandes de La Presse Canadienne pour commenter l’affaire, mais Global News a rapporté qu’il avait nié tout acte répréhensible.

L’autre allégation concernait sa relation avec Mme Brennan, qui, selon l’exposé des faits, avait débuté alors que les deux militaires travaillaient ensemble à la base de Gagetown, au Nouveau-Brunswick, en 2001, et s’est poursuivie jusqu’au moment où M. Vance a pris sa retraite en 2021.

L’exposé des faits indique que M. Vance « a présenté un faux récit » en niant l’ampleur de sa relation sexuelle avec Mme Brennan, lorsque Global l’a contacté pour un commentaire, et qu’il « a encouragé Mme Brennan à perpétuer son mensonge ». Cela comprenait le fait de nier qu’ils avaient eu des relations sexuelles alors qu’ils travaillaient ensemble à Toronto et à Ottawa.

L’exposé conjoint cite une série d’enregistrements que Mme Brennan a faits de leurs entretiens, début février 2021, dont un où il est cité comme disant : « Cela irait beaucoup mieux pour nous si nous n’avions pas de relations sexuelles ».

Mme Brennan a quand même parlé

Bien que la déclaration note qu’il n’est pas illégal de mentir aux médias ou d’encourager les autres à le faire, elle indique que M. Vance « a demandé si elle était prête à faire ce qu’il avait suggéré », alors qu’elle se préparait à rencontrer des membres du Service national des enquêtes des Forces canadiennes.

« Les efforts de M. Vance pour décourager Mme Brennan ont été inefficaces, indique le document conjoint. Elle a rencontré les enquêteurs […] et a fourni des informations détaillées sur sa relation avec Jonathan Vance. »

Dans une déclaration de la victime, également déposée auprès du tribunal, Mme Brennan explique qu’elle voulait garder ses enfants en sécurité et qu’elle a depuis reçu des courriels d’autres militaires qui ont été victimes de comportements sexuels inappropriés.

« Je remets maintenant en question les motivations des personnes qui essaient de gagner ma confiance, écrit-elle. Je ne fais plus confiance à l’autorité militaire de soumission. J’ai perdu mon sourire quand je travaille. »

La déclaration de la victime indique également que M. Vance, avec qui elle a eu un enfant, lui a envoyé un courriel au cours du mois dernier. Elle a ajouté : « Je pensais que je guérissais, mais cela a ramené des émotions si dures, de la peur, que je préfère qu’il ne me contacte plus jamais. »

L’avocat de M. Vance, Rodney Sellar, a également déclaré que le général à la retraite versait une pension alimentaire à Mme Brennan.

En demandant sa libération, Me Sellar avait fait valoir au juge Wadden que son client avait plaidé coupable à la première occasion et qu’il avait déjà subi d’importants dommages financiers et de préjudices à sa réputation, qui se poursuivront dans un avenir prévisible.

« Une vie de contrats et de contacts très rémunérateurs que sa réputation internationale et son expérience pourraient lui procurer […] pourrait bien avoir été anéantie. »