(Québec) Entre fierté et souffrance, les marcheurs autochtones qui ont parcouru plus de 260 kilomètres depuis le Lac-Saint-Jean en soutien aux survivants des pensionnats ont été accueillis avec beaucoup d’émotion à Wendake mardi. À quelques kilomètres, la capitale se préparait à accueillir le pape François.

« Je l’ai fait pour les enfants disparus. Et pour les pensionnats. Parce que moi, j’ai été pensionnaire », témoigne Thérèse Thelesh-Bégin. Âgée de 72 ans, l’aînée innue de Mashteuiatsh, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, a parcouru à pied la route menant du pensionnat de Pointe-Bleue — qu’elle a trop bien connu – jusqu’à Wendake. Un périple de plus de 260 kilomètres qu’elle qualifie de « marche de guérison ».

Les randonneurs ont fait leurs premiers pas le 21 juillet. La marche se terminera ce mercredi sur les plaines d’Abraham, à temps pour l’arrivée du pape François.

« C’est une fierté pour moi de le voir, et que le pape soit venu dans nos terres », affirme Mme Thelesh-Bégin. Comme ses parents et grands-parents avant elle, l’aînée est croyante.

Accueillis en héros

Les 13 marcheurs ont été accueillis par une petite foule rassemblée au Centre de santé Marie-Paule-Sioui-Vincent de Wendake, vers 19 h mardi.

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Les 13 marcheurs réunis à leur arrivée à Wendake

Brandissant avec fierté des drapeaux de plusieurs nations, portant des habits traditionnels, des bâtons de marche et même un canot, le groupe a été acclamé et applaudi.

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Bon nombre d’Autochtones participant au rassemblement venaient d’aussi loin que Natashquan ou Mingan.

Bon nombre d’Autochtones participant au rassemblement venaient d’aussi loin que Natashquan ou Mingan, sur la Côte-Nord. Plusieurs essuyaient des larmes.

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À gauche, le DStanley Vollant, chirurgien innu

« Plutôt que de se mettre en boule, ils se sont mis en marche, comme nos ancêtres l’ont toujours fait », affirme le DStanley Vollant, chirurgien innu, connu pour avoir parcouru une bonne partie des territoires des Premières Nations du Québec à pied. L’organisation qu’il a fondée, Puamun Meshkenu, a organisé la marche en soutien aux survivants des pensionnats. Cette fois-ci, c’est le jeune directeur général de l’organisme, Jay Launière-Mathias, qui a mené le tout.

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Jay Launière-Mathias, directeur général de Puamun Meshkenu

« C’est une marche très symbolique », poursuit le DVollant. Son espoir : que la visite papale, si douloureuse soit-elle en raison des mauvais souvenirs qu’elle éveille, soit un tournant pour les Premières Nations.

Des souvenirs douloureux

Dans les années 1950, âgé de 7 à 10 ans, le petit Jean-Charles Pietacho, aujourd’hui chef de la nation innue d’Ekuanitshit (Mingan), a été arraché à sa famille et amené au pensionnat de Mani-Utenam, à plus de 170 kilomètres. « Tous les enfants du village ont été amenés dans un camion, se souvient-il. J’essaie encore d’imaginer le village, après… »

Entre alcoolisme et mal de vivre, M. Pietacho a vécu les contrecoups de cette époque.

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Jean-Charles Pietacho, chef de la nation innue d’Ekuanitshit

Je n’ai jamais dit ça à personne, mais j’aurais préféré mourir de la famine [comme mes ancêtres] que d’être abusé par ceux qui étaient censés nous protéger.

Jean-Charles Pietacho, chef de la nation innue d’Ekuanitshit

Et en ce sens, les excuses du pape François, faites lundi en Alberta, ne sont pas suffisantes. Rappelons que le souverain pontife s’est excusé « pour le mal commis par de nombreux chrétiens contre les peuples autochtones ».

« J’aurais voulu entendre pardon au nom de l’Église catholique », soutient M. Pietacho.

Québec se prépare

À quelques kilomètres, la capitale se préparait à l’arrivée du souverain pontife. Après deux années pandémiques, la foule fourmillait parmi les bâtiments ancestraux et les rues pittoresques du Vieux-Québec. Mais parmi tous ces visiteurs, peu étaient au courant de l’arrivée du pape François avant leur visite, a observé La Presse.

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La rue Saint-Louis, à Québec, était agitée à la veille de la visite du pape François.

Assis sur les plaines d’Abraham, Severine et Gennaro Cardillo, avec leur petit chien Pryam, n’avaient pas réalisé la visite du souverain pontife avant d’organiser leur tournée à travers le Québec. « On a un petit regret, parce qu’on est Européens et on n’a pas eu l’occasion [de voir le pape] là-bas. »

Plusieurs autres touristes rencontrés sur place ont dit à La Presse qu’ils avaient appris par hasard la venue du souverain pontife. « Honnêtement, je n’en avais aucune idée, soutient Sara Parker, une jeune femme de 22 ans en visite de Montréal. Je l’ai appris sur les signes de no parking ! »

Pour Eduardo Melo, qui fêtait son 70anniversaire mardi, la visite pontificale tombe à point. L’homme catholique avait déjà prévu venir fêter dans la capitale et en profitera pour être sur les Plaines pour l’arrivée du pape. « En tant que catholique, je pense que ça aurait dû être fait bien avant [la visite et les excuses aux peuples autochtones], estime-t-il. Mais je suis content qu’il soit là. »

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Marylène Amyot et Pierre Bélanger

Un peu plus loin, sur les murs de la Citadelle, Pierre Bélanger et Marylène Amyot faisaient une marche. Venant de Cap-Rouge, ils ont choisi de venir mardi profiter du centre-ville, pour pouvoir l’éviter dans les prochains jours. « On veut être sûrs de ne pas être pris dans le brouhaha, explique M. Bélanger. On ne va même pas ouvrir notre télévision ! »