Tout l’été, La Presse vous fait parcourir le Québec en vous racontant la vie des rivières. Des histoires humaines, scientifiques ou historiques qui ont toutes une rivière pour attache. Cette semaine : la sauvegarde planifiée d’infrastructures quasi centenaires grâce au tourisme.

Quand le préfet Bruno Paradis observe les barrages désaffectés ou le pont en fin de vie sur la rivière Mitis, il n’y voit pas que des legs du passé. L’avenir touristique de son coin de pays se joue dans ces vieilles pierres, il en est persuadé.

Son objectif : capter ne serait-ce qu’une toute petite partie des 800 000 touristes qui empruntent chaque année la route 132 en direction de la Gaspésie pour les convaincre de dévier de leur trajectoire, de remonter le cours d’eau et d’explorer le secteur.

L’atout dans sa manche, c’est les chutes de la rivière Mitis, harnachées en 1922 pour y produire de l’hydroélectricité. Depuis le resserrement des mesures de sécurité dans tout le réseau d’Hydro-Québec, il y a une vingtaine d’années, elles sont moins accessibles que jamais au grand public.

« La chute est quand même extraordinaire », vante M. Paradis, à travers le vrombissement continu de l’eau qui tombe d’une quarantaine de mètres comme un grand rideau mouvant.

Je voudrais au moins qu’on ait accès à cet endroit-là. C’est un site d’exception.

Bruno Paradis, préfet de la MRC de La Mitis et maire de Price

« La nouvelle génération ne connaît pas la chute »

Il y a « de moins en moins » de gens, même localement, qui ont vu la chute de leurs propres yeux, déplore-t-il. « La nouvelle génération ne connaît pas la chute, ou elle la connaît officieusement. La plus vieille génération la connaît très bien, les gens venaient se baigner […], pique-niquer, profiter du soleil. »

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Bruno Paradis, préfet de la MRC de La Mitis et maire de Price

La Mitis-1 – située sur la chute – et sa voisine la Mitis-2 ne produisent plus d’électricité depuis 2018. Étant donné leur niveau de vétusté et leur petite taille, le jeu n’en valait plus la chandelle pour Hydro-Québec. Ensemble, elles ne représentaient que 11 mégawatts de puissance installée, contre 5600 à LG2, par exemple.

Elles servaient d’abord aux besoins de la scierie Price, qui a donné son nom à la municipalité locale. En plus d’être préfet de la MRC de la Mitis, Bruno Paradis est d’ailleurs aussi le maire de Price.

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Les chutes de la rivière Mitis

« Il n’y a plus rien qui tourne. […] Hydro-Québec ne produira plus ici », a confirmé Ariane Doucet-Michaud, d’Hydro-Québec, qui a ouvert les portes des centrales à La Presse. Les bâtiments ont peu changé au fil des décennies : un Christ kitsch orné d’ampoules électriques, un charme industriel suranné, des outils savamment accrochés aux murs. « On veut regarder avec la communauté si on ne peut pas les faire revivre d’une façon différente. On est vraiment en discussion avec la MRC. »

« On sait qu’on a un super beau site avec un bon potentiel. Il faut trouver la voie de passage », a-t-elle ajouté.

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Une partie du complexe de la Mitis-2

Intérêt pour la production

En marchant sur le terrain de la Mitis-1, Bruno Paradis décrit sa vision, son « utopie » comme il aime à l’appeler : un bistro au pied de la chute, avec une passerelle vitrée au-dessus de l’eau et – pourquoi pas – une autre surface vitrée qui permettrait de voir la centrale produire de l’hydroélectricité en direct.

Car si Hydro-Québec ne veut plus l’exploiter, la communauté pourrait prendre le relais, indique Bruno Paradis.

« La MRC a toujours eu de l’intérêt », a-t-il dit. Surtout que dans l’est du Québec, le monde municipal est déjà largement impliqué dans la production d’électricité, avec les parcs d’éoliennes qui jalonnent le territoire. Les déclarations récentes du gouvernement Legault appuyant une maximisation du potentiel de production électrique de la province penchent aussi en ce sens.

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Si Hydro-Québec ne veut plus exploiter la Mitis-1, la communauté pourrait prendre le relais, indique Bruno Paradis.

Mais « l’accessibilité doit être garantie dans n’importe quel projet. Parce qu’au-delà de la production, pour nous c’est [d’abord] un projet de réappropriation par les Mitissiens et les Mitissiennes », a dit Bruno Paradis. Et par les touristes. Avec seulement 3 km d’éloignement de la route 132, l’attrait est parfaitement situé pour une pause-lunch en route vers le rocher Percé. « On est à côté ! »

« Créer un lien entre les deux rives »

Les barrages hydroélectriques ne sont pas les seules structures désuètes que la MRC de la Mitis voudrait transformer en attraits touristiques sur son territoire.

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Les Jardins de Métis

Le gouvernement du Québec a promis de lui transférer le vieux pont Arthur-Bergeron, qui enjambe la rivière tout près de son embouchure, afin d’en faire un lien piétonnier et cyclable entre les fameux Jardins de Métis et un parc régional voisin. Un nouveau pont routier sera construit.

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Le pont Arthur-Bergeron, au-dessus de la rivière Mitis, fera l’objet d’importants travaux de réfection.

« Nous, ce qu’on veut, c’est créer un lien entre les deux rives », pour que les touristes puissent se déplacer sans remonter dans leur voiture, explique M. Paradis.

Fin mai, l’entrepreneur du ministère des Transports du Québec exécutait des travaux de stabilisation de l’ouvrage avant sa rétrocession. Le pont Bergeron, qui fêtera ses 100 ans en 2030, a une valeur historique en raison de sa construction en arches.

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Des travaux de stabilisation sur le pont Arthur-Bergeron

« On va vouloir garder, évidemment, l’aspect patrimonial de ce pont-là. Mais il va y avoir certaines mises aux normes qui vont être requises, parce que les normes d’autrefois n’étaient pas aussi exigeantes, a indiqué Jean-Philippe Langlais, du ministère des Transports, à quelques mètres du chantier. L’apparence va demeurer identique. »

L’ouvrage a bien besoin d’une cure de jouvence. Son béton s’effrite de façon inquiétante, les joints sont brisés, le drainage est défaillant. « On a de l’armature exposée », a décrit Annie Parent, ingénieure en structure au Ministère. D’autres travaux majeurs de restauration suivront.

Et, avec un peu de chance, le pont qui permettait aux touristes de traverser la Mitis sans s’y attarder pourrait devenir le motif qui les convaincra de rester dans le coin.

La Mitis en chiffres

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La rivière Mitis est l’une des 22 rivières à saumon de la Gaspésie.

1964

C’est la première année où le saumon a pu remonter toute la rivière Mitis jusqu’à sa source, grâce à l’intervention humaine. C’est que les chutes harnachées par les barrages hydroélectriques ont toujours constitué un obstacle infranchissable pour le poisson. Depuis plus de 50 ans, on capture donc les saumons au pied des chutes, avant de les déplacer en camion.

51 km

La Mitis prend sa source dans le lac du même nom, avant de courir sur 51 km pour se déverser dans le Saint-Laurent. Ce faisant, elle traverse neuf municipalités.

Environ 70 000

C’est le nombre de visiteurs qui ont fréquenté les Jardins de Métis en 2021, une année record pour ce site horticole et patrimonial important situé à l’embouchure de la Mitis. C’est en 1926 que la propriétaire des lieux, la riche philanthrope Elsie Reford, commence à transformer les abords de sa résidence secondaire en véritable jardin botanique.

2 Nations

La Mitis pourrait avoir constitué un lieu de rencontre entre les Malécites du Bas-Saint-Laurent et les Micmacs de la baie des Chaleurs. En remontant la rivière puis en descendant le bassin versant de la Restigouche, les Autochtones pouvaient passer du fleuve à la baie.