Tout l’été, La Presse vous fait parcourir le Québec en vous racontant la vie des rivières. Des histoires humaines, scientifiques ou historiques qui ont toutes une rivière pour attache. Cette semaine : la rivière Richelieu et la délicate cohabitation entre riverains et plaisanciers.

Après avoir figuré au cœur des stratégies militaires des puissances coloniales pendant deux siècles, le Richelieu fait maintenant l’objet d’une nouvelle guerre : faut-il – ou pas – y limiter la vitesse des bateaux ?

Avec son accès aux États-Unis via l’immense lac Champlain, la rivière est l’un des principaux carrefours nautiques dans l’est du Canada. Un peu trop au goût de certains riverains, qui dénoncent la quantité de bateaux qui y circulent certains jours d’été. Et surtout l’imprudence de ceux qui s’imaginent sur une autoroute.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Pour les amateurs de wakeboard et autres sports nautiques, la rivière Richelieu est le terrain de jeu idéal.

« Par beau temps, c’est le Far West ici », assure Michel Leduc, un retraité de 67 ans qui habite au bord de la rivière et a fondé une association pour la défendre. « Un samedi de juillet pendant les vacances de la construction, […] vers 10 h 30-11 h, le fun commence. Les bateaux de wakeboard, toutes sortes de bateaux : des 30 pi, des 35 pi. C’est assez impressionnant de voir ça. »

C’est comme une autoroute. Mais une autoroute pas de police, pas de règlements.

Michel Leduc, fondateur et président de l’Association des Riverains et Amis du Richelieu

M. Leduc se bat depuis 2015 pour protéger la rivière et ses berges. Debout sur son long quai, il montre le bord de son terrain de Saint-Marc-sur-Richelieu. Il y a planté des dizaines d’arbres – quitte à couper la vue de sa maison – pour le protéger contre l’érosion.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Les vagues créées par les bateaux, notamment pour pratiquer le wakeboard ou le ski nautique, sont accusées par les riverains d’être responsables de l’érosion des berges.

Pour lui, il n’y a pas de doute : ce sont les vagues créées par les bateaux qui menacent son terrain. En plus de brasser les sédiments, donnant une teinte brunâtre au cours d’eau.

Pas si vite, répond la directrice générale de Nautisme Québec, Josée Côté.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Selon certains propriétaires de marina, ce sont plutôt les mouvements de glaces printaniers qui éroderaient les berges.

Assise dans une marina de Chambly, sur le Richelieu, Mme Côté évoque les explications données par d’autres riverains, notamment des propriétaires de marina : c’est aux mouvements de glaces printaniers que l’on doit attribuer la responsabilité pour l’érosion des berges. « Nous, ajoute-t-elle, lors de nos observations, on n’a pas vu de berges abîmées par les vagues de bateau. »

Actuellement, aucune limite de vitesse n’existe sur le Richelieu.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Une nouvelle proposition à l’étude évoque une diminution de la vitesse à 10 km/h sur quatre tronçons de la rivière considérés comme particulièrement vulnérables.

« On ne le nie pas qu’il y a du trafic », explique-t-elle d’un ton calme, armée d’un décompte qui montre que l’immense majorité des plaisanciers ne font pas de wakeboard, un sport qui suppose une vague importante. « Et on ne le nie pas que les gens doivent bien se comporter pour que ça se passe bien sur la rivière. Il y a toujours du monde qui se comporte de façon inadéquate et qui ne fait pas attention. »

À pas de tortue

La situation a bien failli changer en 2021, alors qu’Ottawa a fait paraître à la Gazette officielle un projet de règlement limitant à 10 km/h la vitesse sur un tronçon de 20 km au cœur de la rivière. M. Leduc et son Association des Riverains et Amis du Richelieu avaient réussi à convaincre le gouvernement fédéral de la validité de leurs demandes.

Branle-bas de combat dans l’industrie nautique locale, qui craignait de voir les plaisanciers se tourner vers d’autres cours d’eau – ou carrément mettre leur bateau au rancart – s’ils devaient progresser à pas de tortue sur le Richelieu.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

L’industrie nautique craint que l’imposition d’une limitation de vitesse sur la rivière fasse fuir les plaisanciers.

« Les gens des marinas n’ont pas été mis au courant en temps opportun pour donner leur opinion en amont et là, c’était rendu dans la Gazette officielle, relate Mme Côté. Ça les a surpris et dérangés. »

Mme Côté le souligne : le Richelieu est utilisé depuis des siècles.

Quand tu arrives des États-Unis par le lac Champlain, c’est ici que tu transites pour venir au Québec. Si tu arrives de l’Est sur le Saint-Laurent pour aller aux États-Unis, c’est ici que tu vas passer.

Josée Côté, directrice générale de Nautisme Québec

C’est d’ailleurs cet emplacement stratégique qui a placé la rivière Richelieu au cœur de l’histoire du Québec. Les attaques iroquoises qui terrorisaient Montréal pendant ses premières décennies ? C’est par ici qu’elles passaient. L’invasion américaine du Canada britannique en 1812 ? Via le Richelieu. Les patriotes qui ont fui vers la République américaine après les rébellions de 1837-1839 ? C’est le Richelieu qu’ils ont suivi.

« C’est une voie navigable depuis toujours », impossible de la fermer d’un coup.

« On va s’opposer à ça »

L’an dernier, Transports Canada a donc reculé, avant de relancer des consultations ces derniers mois sur une proposition mitoyenne : la vitesse diminuée à 10 km/h ne sera appliquée qu’à quatre tronçons particulièrement fragiles et le wakeboard (ainsi que le ski nautique) sera interdit la fin de semaine entre 13 h et 17 h, entre autres.

Signe peut-être que ce nouveau texte a été pensé comme un compromis, il ne satisfait que partiellement les deux côtés du débat.

Michel Leduc admet que « c’est mieux d’avoir un règlement que pas de règlement du tout », mais plaide qu’il aurait fallu aller plus loin.

« Si les politiciens avaient plus de couilles, ils pourraient dire : c’est 10 km/h tout le long et on arrête de faire du wakeboard là-dessus, assène-t-il, assis dans sa cour arrière. Il y a des études qui prouvent que c’est dommageable, on n’a pas besoin d’autres études là-dessus. »

Quant aux limites imposées sur le wakeboard et le ski nautique les après-midis de fin de semaine, « chez Nautisme Québec, on va s’opposer à ça, assure Josée Côté. C’est le moment où les gens ont le temps d’en faire. Ils travaillent le reste du temps et l’été est court au Québec ».