Plus de la moitié des Québécois sont désormais capables de converser en anglais, un sommet historique révélé par les dernières données du recensement de 2021 diffusées mardi par Statistique Canada. Faut-il en conclure que l’anglais prend la place du français ? Pas nécessairement, indiquent les analyses.

Deux langues valent mieux qu’une

Quelque part entre 2016 et 2021, un cap a été franchi : désormais, plus de la moitié de la population québécoise, soit 51,7 %, peut soutenir une conversation en anglais. Une progression de 10 points de pourcentage en 30 ans, attribuable à deux éléments, selon l’analyste Gabriel St-Amand de Statistique Canada. D’abord, les Québécois de langue maternelle française sont plus nombreux à maîtriser également la langue anglaise – ils étaient 31,4 % en 1991 à savoir parler anglais, ils sont maintenant 42,2 %. Ensuite, le poids démographique des immigrants, dont 67 % sont en mesure de converser en anglais, a aussi augmenté au fil des ans.

Stabilité chez les unilingues anglophones

Si environ 13 % des Québécois ont appris l’anglais avant le français (une proportion plutôt stable depuis 1991), ils sont plus nombreux à apprendre les deux langues officielles en même temps. Des Québécois plus multilingues que jamais ? « J’y vois une raison de célébrer », dit la professeure Lorraine O’Donnell, de l’Université Concordia. « Il y a plusieurs recherches qui montrent les bienfaits cognitifs d’être bilingue ou multilingue », dit-elle. Elle remarque les données évaluant la proportion de Québécois qui ne peuvent converser qu’en anglais : cette proportion est la même qu’en 1991, soit 5 %. Gabriel St-Amand note toutefois ici un « renversement de tendance » : en baisse depuis 1991 pour atteindre 4,6 % en 2016, la proportion est passée à 5,3 % en quatre ans.

Hello, Bonne-Espérance

Sans surprise, c’est dans les régions de Montréal et de l’Outaouais que vivent le plus grand nombre de citoyens qui savent parler anglais. Mais aucune municipalité de plus de 500 habitants n’arrive à la cheville de… Bonne-Espérance, en Basse-Côte-Nord. « Oh oui, tout le monde parle anglais ici », dit en riant la mairesse de cette municipalité de 700 habitants, Dale Roberts-Keats, confirmant ainsi une mention faite par Statistique Canada dans son rapport. Les habitants de Bonne-Espérance sont-ils aussi nombreux à maîtriser le français ? Non, reconnaît la mairesse. « J’ai 69 ans. Je peux me débrouiller en français, mais bien peu de personnes ici peuvent le faire… » Et elle le regrette, dit-elle. « Dans les années 60 et 70, le gouvernement aurait dû imposer le français dans les écoles anglaises pour que les anglophones soient bilingues en finissant le secondaire. » Certaines mesures de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (loi 96), déplore-t-elle, semblent vouloir punir les municipalités comme la sienne pour les erreurs commises dans le passé. « Je ne vois pas en quoi nous obliger à rédiger tous nos contrats en français va aider la langue française… »

PHOTO FOURNIE PAR LA MUNICIPALITÉ DE BONNE-ESPÉRANCE

Le village de St. Paul’s River, qui fait partie de la municipalité de Bonne-Espérance, en Basse-Côte-Nord

Proportion de la population qui peut converser en anglais

En tête de classement

  • Bonne-Espérance, Basse-Côte-Nord (100 %)
  • L’Isle-aux-Allumettes, Outaouais (99,6 %)
  • New Carlisle, Gaspésie (82,9 %)

En fin de classement

  • Saint-Thomas-Didyme, Saguenay–Lac-Saint-Jean (11,4 %)
  • Price, Bas-Saint-Laurent (11,2 %)
  • Portneuf-sur-Mer, Côte-Nord (7,3 %)

Source : Statistique Canada

Au travail : en anglais, mais pas seulement

Le nombre de Québécois utilisant l’anglais le plus souvent au travail est en hausse constante depuis 2001, étant passé de 17,6 % à 19,5 % en 2021. Malgré la hausse, la connaissance du français demeure un élément essentiel d’intégration, rappelle Mme O’Donnell. Le tiers des résidants qui ne parlent qu’anglais sont nés à l’étranger, surtout en Asie. « Les groupes communautaires qui travaillent auprès des anglophones sont très actifs pour soutenir les immigrants qui doivent apprendre le français », par exemple en distribuant de l’information sur les cours de francisation. « Nous savons que de ne pas parler français au Québec condamne un individu à être marginalisé. »

Rectificatif
Ce texte a été modifié de sa version originale pour corriger la graphie du nom de Gabriel St-Amand, ainsi que le pourcentage des immigrants pouvant parler anglais (67 % au lieu de 68 %).