Tout l’été, La Presse vous fait parcourir le Québec en vous racontant la vie des rivières. Des histoires humaines, scientifiques ou historiques qui ont toutes une rivière pour attache. Cette semaine : la rivière L’Acadie ou la pêche au trésor.

La prise que le pêcheur Frederick Hardy ramène sur la berge en enroulant sa ligne est impressionnante. Deux pieds de long, une bonne dizaine de livres et des reflets métalliques tout du long.

Une arme de chasse. Probablement lancée (ou tombée) dans la rivière L’Acadie quelques années plus tôt depuis le pont routier de la Grande-Allée situé juste en surplomb.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Frederick Hardy observe sa prise : une arme de chasse.

Avec trois de ses camarades, M. Hardy a bien choisi son emplacement pour s’adonner à son passe-temps préféré : la pêche à l’aimant. Un puissant aimant est installé au bout d’un câble, avant d’être lancé dans l’eau. Tout objet ferreux qui se retrouve à proximité s’y accrochera. Surfant sur la popularité de vidéos virales en provenance d’Europe ou des États-Unis, l’activité est en croissance importante au Québec depuis la pandémie.

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Clous et vis se collent souvent aux aimants des pêcheurs.

« Le premier aimant que j’ai acheté, c’était un petit sur Amazon. Je ramassais des clous… J’ai tellement aimé ça que j’ai décidé d’acheter un plus gros aimant », a expliqué M. Hardy, régulièrement interrompu par les cris d’excitation de ses camarades de pêche.

J’ai commencé à pogner de belles choses, j’ai commencé à triper ben raide.

Frederick Hardy, adepte de la pêche à l’aimant

De « belles choses », c’est notamment des découvertes intrigantes. Deux semaines plus tôt, Frederick Hardy avait pêché un fusil semi-automatique AR-15 en excellent état dans un tributaire de la rivière L’Acadie. « C’est bizarre. C’est une chaise. Non ? ! Quelqu’un a perdu son arme ! », l’entend-on se réjouir sur une vidéo captée depuis la petite caméra qu’il porte constamment sur le front.

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Trois policiers ont récupéré l’arme pêchée par Frederick Hardy.

Chaque fois qu’il pêche une arme à feu (la carabine était sa cinquième), M. Hardy appelle la police. Trois agents de la Régie intermunicipale de police Richelieu-St-Laurent ne tardent pas à arriver. « Ça ne date pas de cet hiver, mettons ! », commente la policière Morin. Ils emportent l’arme à des fins d’analyse.

« Ça me fait beaucoup de bien »

La découverte d’armes à feu constitue l’exception plutôt que la règle. Comme à la pêche aux poissons, la ligne revient le plus souvent sans prise. Les tiges de fer, les vis et les clous, les vieilles tôles ou les outils constituent les prises les plus communes. Une façon de dépolluer les cours d’eau, longtemps utilisés comme dépotoirs.

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Julie Tessier, seule femme du quatuor, lance son aimant à l’eau.

Thierry Muraton ramène sur la berge la grande feuille d’acier qui s’est collée à son aimant. Le sexagénaire a adopté ce passe-temps après avoir perdu sa femme des suites d’un cancer, il y a six mois. Ils avaient passé près de 50 ans ensemble.

« Ça me fait beaucoup de bien. Je suis dehors, sur le bord de l’eau. Et puis c’est une activité que je n’ai jamais faite avec ma femme. Donc il n’y a aucun souvenir », a expliqué l’éleveur de brebis, flanqué de son border collie baptisé Guzzi. « Des journées comme ça, ça me fait beaucoup de bien. »

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Thierry Muraton, Julie Tessier, Frederick Hardy et Maxime Rocheleau, au-dessus de la rivière L’Acadie

C’est le hasard qui a mené M. Muraton vers la pêche à l’aimant. Après avoir entendu une entrevue avec M. Hardy à la radio cet été, il est tombé par hasard sur celui-ci, en bordure d’une route, quelques heures plus tard.

Pour Frederick Hardy aussi, la pêche à l’aimant revêt un caractère thérapeutique. Le concepteur de système de gicleurs anti-incendie est en arrêt de travail depuis le printemps dernier en raison d’un épuisement professionnel.

C’est ma thérapie. Plus j’en fais, mieux c’est.

Frederick Hardy

« Assez addictif »

Assez de la berge. Le quatuor aimanté se déplace vers le pont de l’île Goyer, toujours sur la rivière L’Acadie, d’où ils pêcheront en hauteur. Ils lancent leur lourd hameçon au bout de leur bras avant d’utiliser les rambardes comme poulies de fortune. Gare à ceux qui laisseront leur aimant être attiré par l’acier de la structure, ils devront se battre pour le décoller. Pire : se coincer un doigt entre un aimant et un morceau de fer, avec blessure assurée.

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Maxime pêche à partir du pont de l’île Goyer, utilisant les rambardes comme poulies.

Henri, Édouard et William n’ont pas à se soucier de tels dangers. Les trois garçons sont arrivés à vélo pour pêcher à la ligne (la vraie cette fois) dans la rivière L’Acadie. Le premier a sorti un petit achigan qu’il garde dans l’eau avec une corde à travers les ouïes, comme un animal en laisse.

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Pendant que les pêcheurs à l’aimant ratissent les fonds de la rivière à la recherche de trésors, des kayakistes profitent de sa surface.

Ils observent M. Hardy et ses camarades avec curiosité. Ces gros aimants tirés à bout de bras dans l’eau ne font-ils pas peur aux poissons ? « Peut-être. Mais ils restent là à cause des roches, donc je pense qu’ils vont juste se cacher dans les roches », nuance William.

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Deux objets faits de bois et d’acier, pêchés par Maxime Rocheleau

Tout près, Maxime Rocheleau continue à envoyer son aimant dans la rivière. Il ramène sur la berge deux objets faits de bois et d’acier, de forme incurvée. Des pistolets anciens ? Il en est convaincu. « Tu es quasiment mieux de les laisser dans l’eau », lui dit Frederick Hardy. « Le fait qu’il soit à l’extérieur, ça va le briser encore plus. »

Le leader de la bande a soigneusement étudié tous les ponts, ponceaux et passerelles qui traversent la rivière L’Acadie sur une carte virtuelle avant l’expédition. Les aimants, « c’est quand même assez addictif », explique-t-il. Addictif et attractif.