(Ottawa) Les pratiques religieuses feront-elles leur entrée dans l’auguste édifice du Centre du parlement dans la foulée des coûteuses rénovations qui y ont lieu jusqu’en 2030 ?

Ce qu’il faut savoir

  • L’édifice du Centre du parlement fait l’objet de rénovations jusqu’en 2030.
  • Un comité des Communes a décidé de réserver une salle pour des cérémonies de purification par la fumée.
  • On étudie la possibilité d’utiliser aussi cette salle pour des pratiques religieuses.
  • Le Bloc québécois s’y oppose farouchement.

C’est du moins ce que craint le Bloc québécois, qui voit d’un mauvais œil l’ouverture manifestée par les autres formations politiques à cette éventualité.

Dans le cadre des rénovations importantes de l’édifice du Centre qui doivent coûter de 4,5 à 5 milliards, il a été décidé qu’une salle du quatrième étage serait réservée aux cérémonies de purification par la fumée et à l’allumage d’un qulliq. Le Bloc québécois appuie cette idée qui s’inscrit dans une démarche de réconciliation avec les peuples autochtones.

Mais les troupes d’Yves-François Blanchet s’élèvent contre l’option, évoquée par les autres formations politiques, que cette même salle puisse aussi avoir une fonction multiconfessionnelle quand elle n’est pas utilisée à ses fins premières, selon des informations obtenues par La Presse.

Mise en garde du Bloc

Le Bloc québécois met d’ailleurs en garde le Parti libéral, le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique contre l’idée de s’engager sur cette pente glissante, qui mine selon lui la nécessaire séparation de l’État et de la religion.

D’autant que le gouvernement de Justin Trudeau, depuis quelques années, multiplie déjà les démarches afin d’aménager des salles de prière dans les édifices où travaillent les fonctionnaires fédéraux.

Depuis 2015, Ottawa a en effet aménagé une cinquantaine de salles multiconfessionnelles dans 46 immeubles fédéraux du pays, a rapporté La Presse en mai. Six de ces salles ont été aménagées au Québec, plus précisément dans les édifices fédéraux situés à Gatineau, dans la région de la capitale fédérale. En outre, le ministère de la Défense compte aussi aménager des salles de prière dans les nouvelles installations qui seront construites près des hangars qui doivent servir à abriter les nouveaux avions de chasse F-35 à Bagotville et à Cold Lake.

« Nous nous sommes toujours clairement prononcés en faveur de la laïcité de l’État. Nous ne voulons pas que la religion fasse son entrée dans le nouveau parlement », a indiqué la whip du Bloc québécois, la députée Claude DeBellefeuille, qui est membre du Bureau de la régie interne (BRI), ce comité de députés qui se penchent sur l’évolution des travaux de rénovation.

« Principalement pour les Autochtones »

Jeudi, le BRI a donné son accord à la création d’une salle réservée aux cérémonies de purification par la fumée et à l’allumage d’un qulliq. Mais les députés ont reporté toute décision concernant l’utilisation de cette salle à d’autres fins, n’ayant pas réussi à trouver un consensus sur cette question en raison de l’opposition du Bloc québécois.

Le BRI s’appuie normalement sur un consensus des partis avant de trancher dans un dossier. C’est une tradition, mais cela ne fait pas partie des règles écrites de fonctionnement du BRI.

« Nous sommes d’accord avec l’idée de créer une salle en l’honneur des Autochtones et des Premières Nations. C’est important pour nous et cela fait consensus. Mais il ne faut pas prendre ce prétexte pour établir que pendant que les Premières Nations ne l’utilisent pas, on pourrait faire de la place à des pratiques religieuses », a exposé Mme DeBellefeuille dans une entrevue accordée à La Presse.

Pour nous, la religion, c’est d’un bord ; l’État, c’est de l’autre bord. On ne veut pas mettre la religion dans le parlement.

Claude DeBellefeuille, whip du Bloc québécois

Durant la réunion de jeudi, le député conservateur Chris d’Entremont a convenu que la salle en question serait principalement utilisée par les Premières Nations, mais il a souligné que des groupes religieux qui font brûler de l’encens, par exemple, pourraient aussi l’utiliser puisque la salle serait munie d’un détecteur de fumée conçu spécialement pour ce genre d’usage.

« Les orthodoxes par exemple utilisent beaucoup d’encens. Donc on pourrait utiliser cette salle pour ces pratiques-là aussi […]. Mais en même temps, on sait que c’est principalement une chambre pour les Autochtones. Donc un petit peu, mais pas beaucoup », a-t-il dit.

Pour sa part, la députée libérale Ruby Sahota a plaidé pour que les élus adoptent une politique de souplesse. « Je pense qu’il faudrait qu’il y ait une certaine souplesse. On a de la souplesse un peu partout dans les pièces ici [quant à la façon dont] on utilise les salles de réunion et les salles de comité. […] Je pense qu’il y aurait quand même une certaine ouverture pour que d’autres évènements culturels [y soient tenus] ou que d’autres cultures puissent l’utiliser », a-t-elle dit.

Ces propos font craindre le pire au Bloc québécois.

« On ne veut pas qu’il y ait un glissement », a affirmé Mme DeBellefeuille. « On a essayé de faire enlever la prière du matin à la Chambre des communes. Ça n’a pas marché. Mais on espère que dans 10 ans, quand le nouveau parlement va ouvrir, la prière sera enfin mise de côté. On aura compris qu’on ne mêle pas la religion au Parlement. Mais on ne va pas contribuer à faire en sorte que le parlement 2.0 va créer une salle qui pourrait servir à des fonctions multiconfessionnelles. On ne peut pas donner notre accord à cela. »