(Ottawa) Tout en se gardant de commenter les allégations de Michael Spavor selon lesquelles Michael Kovrig serait à l’origine de sa détention en Chine, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, martèle que l’ancien diplomate a raison de clamer son innocence.

« Dire que les deux Michael étaient impliqués dans des activités d’espionnage, c’est tomber dans le narratif (sic) de la Chine. C’est complètement inacceptable, et c’est faux », a tranché la diplomate en chef lors d’une conférence de presse par visioconférence de Bruxelles, mercredi.

« Je ne peux pas être plus claire : il n’y a pas eu d’activités d’espionnage », a-t-elle poursuivi.

Il y a quelques jours, le Globe and Mail a rapporté que Michael Spavor a retenu les services d’un avocat dans l’intention de poursuivre le gouvernement canadien. L’avocat, John Kingman Philipps, allègue que son client a été arrêté par Pékin, car il aurait fourni des renseignements sur la Corée du Nord à Michael Kovrig.

Durant son affectation en Chine, de 2014 à 2016, l’ancien diplomate avait notamment le mandat de collaborer avec les autorités chinoises pour encourager les Nord-Coréens à cesser de développer des armes nucléaires et de contribuer à leur prolifération.

Un compatriote avait justement ses entrées à Pyongyang : Michael Spavor, dont l’un des faits d’armes aura été l’organisation de la rencontre entre le dirigeant Kim Jong-un et le joueur de basketball Dennis Rodman. À cette époque, les deux hommes se sont donc rencontrés.

Michael Kovrig le faisait dans le cadre du Programme d’établissement de rapports sur la sécurité mondiale, dont l’objectif est de récolter des informations sur la situation sécuritaire dans des pays ayant un intérêt stratégique pour le Canada.

Cette division ne verse pas dans l’espionnage, a assuré la ministre Joly.

« Il n’y en a pas au sein d’Affaires mondiales via ce programme. Pourquoi ? Parce qu’essentiellement, ce sont des diplomates qui font leur travail en toute transparence, enregistrés comme diplomates, et qui sont les yeux et les oreilles du Canada sur le terrain », a-t-elle plaidé.

« Le gouvernement et moi-même, nous soutenons complètement les deux Michael, et certainement ce que Michael Kovrig dit présentement quand il clame son innocence », a martelé la cheffe de la diplomatie du Canada.

Michael Kovrig sort de son mutisme

Après 1019 jours passés sous les verrous en Chine, Michael Kovrig pensait son calvaire enfin terminé. Mais voici qu’il se prolonge en raison de ces allégations.

« Je n’ai jamais été impliqué dans des activités d’espionnage », a tranché l’ex-employé d’Affaires mondiales Canada dans une déclaration transmise à La Presse, mardi.

PHOTO ARCHIVES FOURNIE PAR MICHAEL KOVRIG

Michael Kovrig a passé 1019 jours sous les verrous en Chine. Il a été libéré en 2021.

Le régime chinois n’a d’ailleurs lui-même fait « aucune allégation selon laquelle j’aurais été un agent de renseignements, ni ne mentionnaient Michael Spavor », note celui qui a recouvré sa liberté en 2021.

Apprendre dans les pages du Globe and Mail que l’autre moitié des deux Michael l’accuse d’être à l’origine de leur arrestation l’a replongé dans le cauchemar.

Nos familles et nous-mêmes avons terriblement souffert pendant les 1019 jours de notre détention. Répéter ces allégations sur les raisons de notre détention ne font que prolonger une douleur que nous nous efforçons de dépasser.

Michael Kovrig

Et « toute insinuation selon laquelle je n’aurais pas été transparent dans mes interactions avec Michael Spavor est fausse », insiste celui qui est revenu à l’emploi de l’International Crisis Group (ICG), où il était lorsqu’il a été arrêté en décembre 2018.

Se défendre, encore

Son employeur balaie ces allégations du revers de la main. « Michael était un otage politique, arrêté et détenu par la Chine dans le cadre d’un chantage à l’encontre du gouvernement du Canada », a déclaré un porte-parole de l’ICG.

C’est également ce que plaide Michael Kovrig. C’est ce qu’il a plaidé encore et encore dans la geôle chinoise où il a croupi pendant près de trois ans de sa vie, après que le Canada eut arrêté Meng Wanzhou, à la demande des États-Unis.

« Bien que j’aie été soumis à des mois de détention, de coercition, d’interrogatoire, de torture psychologique, de solitude et d’incertitude, j’ai toujours affirmé mon innocence lors de mon arrestation et à nouveau lors de mon procès », souligne-t-il.

« Je continue à le faire aujourd’hui », se désole-t-il.

Difficile retour à la normale

La Chine a toujours nié que Michael Kovrig était un otage politique. En septembre 2021, les médias d’État chinois ont rapporté qu’il avait reconnu s’être livré à de l’espionnage. « C’est totalement faux. Ce n’est pas le cas », assure Michael Kovrig.

Au final, il est redevenu un homme libre. Dans les heures ayant suivi la libération de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, un avion du gouvernement ramenait les deux Michael au bercail.

S’il s’est fait discret par la suite, on l’a tout de même vu recevoir une ovation monstre à la Chambre des communes – au côté de son compagnon d’infortune – lors de la visite du président américain Joe Biden, en mars dernier.

Plus récemment, aux Nations unies, en septembre dernier, il a participé à un dialogue de haut niveau sur la détention arbitraire convoqué par la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, et le secrétaire d’État américain Antony Blinken.

Il n’a pas encore souhaité parler publiquement de ce qu’il a vécu en détention, et exposer les conditions exécrables dans lesquelles il a été détenu. Ce chapitre douloureux se rouvre bien malgré lui en raison des allégations de Michael Spavor.

« Pendant son incarcération, Michael a fait preuve d’une force d’âme et d’un caractère hors du commun », a fait valoir dans une déclaration l’ICG, qui a œuvré inlassablement en faveur de sa libération, à l’instar de son ancienne conjointe, Vina Nadjibulla.

« Il a gagné le respect des gens du monde entier. Nous pensons qu’il a également gagné le droit à un certain degré de discrétion et d’espace pour poursuivre sa vie », a conclu l’organisation.

L’avocat de Michael Spavor a réclamé la même chose. « Nous vous prions de respecter [sa] vie privée et de transmettre toute requête à notre bureau », a signalé MKingman Philipps.