(Ottawa) L’absence d’un registre des agents d’influence étrangers prive les corps policiers comme la GRC d’outils importants qui leur permettraient d’écrouer les individus dirigeant des postes de police chinois clandestins au Canada.

Cet aveu étonnant est contenu dans des documents du Bureau du Conseil privé, qui, dans une note d’information au premier ministre Justin Trudeau, expliquent pourquoi les autorités américaines ont pu déposer des accusations contre deux individus en lien avec la présence d’un poste de police chinois clandestin à New York, tandis qu’aucune accusation du même genre n’a été déposée au pays.

Aux États-Unis, un registre des agents d’influence étrangers existe depuis plusieurs décennies. Ce registre oblige tout ressortissant étranger qui se livre à des activités d’influence au nom d’un pays étranger à s’inscrire au préalable auprès du département de la Justice. Au printemps dernier, le FBI et le Bureau du procureur des États-Unis à Brooklyn ont eu recours aux dispositions de ce registre pour arrêter deux individus à la tête d’un poste de police chinois clandestin dans le quartier chinois de New York.

Des accusations d’avoir conspiré pour servir d’agents de la République populaire de Chine en lien avec ce poste de police ont été déposées contre Lu Jianwang, 61 ans, et Chen Jinping, 59 ans.

Ce poste de police clandestin serait l’une des quelque 100 opérations de police chinoise déployées dans plusieurs pays occidentaux, dont le Canada. Mais à ce jour, c’est le seul cas répertorié où des poursuites pénales ont été engagées.

Au Canada, aucune arrestation ou accusation n’a été portée en lien avec l’existence de sept postes de police chinois, dont deux auraient eu pignon sur rue à Montréal. Et la raison est fort simple, selon le Bureau du Conseil privé – le ministère du premier ministre.

« Il n’existe actuellement aucune infraction criminelle au Canada équivalente à l’accusation de complot en vue d’agir aux États-Unis en tant qu’agents d’un gouvernement étranger sans avertir au préalable le procureur général des États-Unis. Le Canada n’a pas encore mis en œuvre de registre des agents étrangers », affirme-t-on dans cette note à l’intention du premier ministre datée du 9 mai 2023.

La Presse a obtenu cette note récemment grâce à la Loi sur l’accès à l’information. La note est signée par l’ancienne conseillère en matière de sécurité nationale du premier ministre Jody Thomas.

« Priorité à la sécurité »

Ces révélations font bondir de colère le Parti conservateur, qui réclame depuis quelques années la création d’un registre d’agents d’influence étrangers. Selon le député conservateur Pierre Paul-Hus, qui est le lieutenant politique de Pierre Poilievre au Québec, le gouvernement Trudeau se traîne inutilement les pieds dans ce dossier.

« Nous sommes confrontés une fois de plus à une preuve flagrante que le gouvernement Trudeau échoue délibérément à protéger les Canadiens – sur le sol canadien – contre les menaces posées par des gouvernements autoritaires. Les libéraux n’ont pas tenu leur promesse d’établir un registre des agents d’influence étrangers. Un tel registre limiterait l’influence que les gouvernements étrangers ont montré qu’ils pouvaient exercer sur le sol canadien », a déclaré M. Paul-Hus.

« Il est temps que le gouvernement Trudeau donne la priorité à la sécurité des Canadiens. Les conservateurs donneront la priorité à la sécurité des Canadiens en créant un registre et en fermant les postes de police étrangers illégaux », a-t-il ajouté.

L’ancien ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, avait indiqué au printemps dernier son intention de déposer à l’automne un projet de loi visant à créer un tel registre. Il a été exclu du cabinet en juillet. Son successeur, le ministre Dominic LeBlanc, a indiqué que la création d’un registre était toujours dans les cartons, sans toutefois donner d’échéancier.

Un porte-parole de M. LeBlanc, Jean-Sébastien Comeau, a indiqué que cela fait toujours partie des priorités du gouvernement, mais il faut « prendre le temps de bien faire les choses ».

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre fédéral de la Santé publique, Dominic LeBlanc

« Depuis 2015, notre gouvernement a mis en place une série de mécanismes robustes pour lutter contre l’ingérence étrangère et protéger nos institutions démocratiques. Nous sommes constamment en train d’identifier des moyens de renforcer davantage ces mesures – et cela inclut la mise en œuvre d’un registre des agents étrangers. La création d’un registre fait partie d’une série de modifications législatives que nous envisageons pour moderniser et renforcer nos lois en matière de sécurité nationale », a-t-il indiqué.

Des postes dans plus de 50 pays

En septembre 2022, l’organisation de défense des droits de la personne Safeguard Defenders, établie en Espagne, soutenait dans un rapport que des divisions du ministère de la Sécurité publique (MSP) de la République populaire de Chine avaient implanté des « postes de police » dans plus de 50 pays, dont le Canada.

En juin dernier, la Gendarmerie royale du Canada a certifié avoir « mis fin à des activités policières illégales en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique », mais elle n’a pas indiqué si elle avait procédé à des arrestations en lien avec cette affaire. Elle avait ouvert des enquêtes quelques mois plus tôt en lien avec la présence de trois postes de police chinois dans la région de Toronto, deux autres à Vancouver et deux à Montréal.

Dans la région de Montréal, la GRC a montré du doigt le Service à la famille chinoise du Grand Montréal et le Centre Sino-Québec de la Rive-Sud comme des installations abritant des postes de police chinois. Mais les dirigeants de ces centres de ressources ont nié avec véhémence ces informations. En décembre, ils ont intenté une poursuite civile de 2,5 millions de dollars contre le corps policier pour diffamation.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse