(Ottawa) La Commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère entend déployer les efforts qui s’imposent pour aller au fond des allégations selon lesquelles des pays comme la Chine, la Russie et l’Inde se sont livrés à des activités d’ingérence pour tenter d’influencer les résultats des élections fédérales de 2019 et de 2021.

La juge Marie-Josée Hogue a voulu donner le ton rapidement au déroulement des audiences qui ont commencé lundi dans l’espoir de rassurer les Canadiens au sujet du mandat de la commission qu’elle préside.

« Notre but est de découvrir la vérité, quelle qu’elle soit », a notamment déclaré la commissaire dans son allocution d’ouverture. En remplissant correctement son mandat, la commission pourra comprendre ce qui s’est passé, tirer des conclusions et formuler des recommandations pour l’avenir, a-t-elle aussi indiqué.

« Mon équipe et moi entendons tout mettre en œuvre pour aller au fond des choses et comprendre ce à quoi le pays a pu faire face et ce à quoi il est peut-être toujours confronté en matière d’ingérence étrangère. »

L’ingérence étrangère dans nos institutions démocratiques est un enjeu très sérieux qui exige qu’on pousse le plus loin possible à la fois l’enquête, l’analyse et la réflexion pour ultimement identifier les meilleurs moyens de la contrecarrer.

La juge Marie-Josée Hogue

Si son mandat est aussi d’évaluer si le gouvernement Trudeau a agi à la hauteur de ses responsabilités quand il a été mis au courant des allégations d’ingérence étrangère, elle ne pourra pas assigner de blâme.

« Il n’appartient pas à une commission d’enquête de chercher à identifier des coupables ou des responsables. Ses travaux n’impliquent ni demandeurs, ni défendeurs, ni accusés. Cela dit, une commission rend publics ses constats même lorsqu’ils peuvent porter ombrage à la réputation de certaines personnes ou de certaines organisations », a dit la commissaire.

Possibles huis clos

Pour aller au fond des choses, la juge Marie-Josée Hogue a indiqué qu’elle pourrait permettre à des témoins de comparaître à huis clos si certains craignent de faire l’objet de représailles ou de menaces de la part des pays qui sont mis en cause. Cette ouverture de la juge Hogue vise notamment les membres de la diaspora chinoise, qui ont exprimé des craintes à cet égard au cours des derniers mois.

Pour remplir son mandat, la commission devra tenir compte de la nature sensible des renseignements qui ont été recueillis par les agences de sécurité comme le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et qui ont fait l’objet de nombreux reportages dans les médias canadiens au cours des deux dernières années, en particulier le Globe and Mail.

En février 2023, le quotidien anglophone a rapporté que la Chine avait utilisé une stratégie raffinée afin d’assurer la réélection d’un gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau et de défaire des candidats conservateurs jugés hostiles au régime communiste chinois.

The Globe and Mail affirmait alors avoir vu l’ampleur de l’opération d’ingérence menée par Pékin en consultant des documents secrets du SCRS touchant la période avant et après les élections de septembre 2021.

En réponse à ces allégations, le gouvernement Trudeau a décidé de nommer un rapporteur spécial indépendant, l’ancien gouverneur général du Canada David Johnston. Ce dernier a conclu dans un rapport que la Chine « a utilisé des mandataires et a tenté d’influencer de nombreux candidats libéraux et conservateurs de différentes manières subtiles », mais que cela n’avait pas influé sur les résultats des deux derniers scrutins.

Dans son rapport, David Johnston a écarté l’idée de recommander la tenue d’une enquête publique sur l’ingérence étrangère au motif qu’une telle enquête devrait avoir lieu derrière des portes closes en raison de la nature sensible des renseignements touchant la sécurité nationale. Les partis de l’opposition ont exigé sa démission. M. Johnston a cédé aux pressions quelques semaines plus tard.

Plusieurs témoins attendus

Dans son allocution, la juge Marie-Josée Hogue a indiqué qu’elle n’avait aucune idée préconçue en acceptant le mandat de commissaire.

Les premiers jours d’audience de la commission seront d’ailleurs consacrés à évaluer les défis, les limites et les effets préjudiciables potentiels sur la sécurité nationale résultant de la divulgation au public d’informations et de renseignements classifiés.

De l’aveu même de la commissaire, la décision entourant la divulgation d’informations de nature sensible qui pourraient porter atteinte à la sécurité nationale représente l’un des plus grands défis auxquels la commission est confrontée.

Dans un souci de transparence, elle promet de publier un résumé des audiences qui pourraient devoir se dérouler à huis clos pour examiner des renseignements classifiés.

Des experts, des universitaires et des professionnels du domaine de la sécurité nationale seront d’ailleurs appelés à témoigner mardi et mercredi dans l’espoir de déterminer les pratiques qui pourraient être adoptées par la commission quant au partage d’informations jugées sensibles.

PHOTO JOHN WOODS, ARCHIVES WINNIPEG FREE PRESS

David Vigneault, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité

Jeudi, des membres actuels du renseignement, dont le directeur du SCRS, David Vigneault, viendront témoigner. Pour sa part, le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, sera appelé à comparaître vendredi.

Les audiences qui porteront sur les allégations d’ingérence visant la Chine, l’Inde et la Russie auront lieu à la fin de mars. La juge Marie-Josée Hogue doit remettre un premier rapport sur cette portion de l’enquête au plus tard le 3 mai.