(Ottawa ) Il est très difficile de détecter et de contrer l’ingérence étrangère dans un monde où la diplomatie sert parfois à toutes les sauces et où ceux qui se livrent à ce genre d’activités tentent par tous les moyens de passer sous le radar, a affirmé candidement l’ancien grand patron du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Richard Fadden.

Appelé à témoigner devant la Commission sur l’ingérence étrangère, M. Fadden a rappelé qu’il a lui-même occupé les fonctions de diplomate avant de servir au sein d’agences de sécurité et que c’était la nature même de son travail de tenter d’influencer les politiques du pays où il était en poste.

De toute évidence, détecter et contrer une menace terroriste s’avère plus simple en apparence que contrer le fléau de l’ingérence étrangère, a-t-il avancé durant son témoignage.

« Dans le cas du terrorisme, vous savez que si quelqu’un s’affaire à fabriquer une bombe ou quelque chose du genre, il est clair que vous devez poursuivre l’affaire. Mais si le consul général du pays X parle à quelqu’un pendant le déjeuner, cela pourrait être une ingérence étrangère à outrance ou cela pourrait être une réunion sociale où l’on dit en quelque sorte que les deux pays devraient unir leurs forces et se mettre d’accord sur une politique particulière », a-t-il donné en exemple.

« S’il n’y a pas de menace de violence impliquant la diaspora en cause, il est à certains égards plus difficile d’attraper des personnes qui sont engagées dans une forme d’ingérence étrangère que dans une forme de terrorisme. Car dans bien des cas, on fait face à des conversations qui pourraient constituer des menaces sous-entendues ou encore des avantages sous-entendus », a-t-il ajouté.

Présidée par la juge Marie-Josée Hogue, la Commission sur l’ingérence étrangère a été mise sur pied par le gouvernement Trudeau afin d’examiner les activités d’ingérence étrangère menées par la Chine, la Russie et l’Inde, entre autres, durant les élections fédérales de 2019 et 2021.

Cette commission a été mise sur pied après des mois de pressions des partis d’opposition et après que le quotidien The Globe and Mail eut révélé en février 2023 que la Chine avait utilisé une stratégie raffinée afin d’assurer la réélection d’un gouvernement libéral minoritaire dirigé par Justin Trudeau et de défaire des candidats conservateurs jugés hostiles au régime communiste chinois.

The Globe and Mail affirmait alors avoir vu l’ampleur de l’opération d’ingérence menée par Pékin en consultant des documents secrets du SCRS touchant la période avant et après les élections de septembre 2021.

Mais des organismes veillant au bon déroulement des élections fédérales ont affirmé que les activités d’ingérence menées par la Chine n’ont pas affecté l’intégrité des élections ou les résultats.

M. Fadden, qui aussi été conseiller en matière de sécurité pour l’ancien premier ministre Stephen Harper et l’actuel premier ministre Justin Trudeau, a par ailleurs affirmé qu’il aurait pris les moyens qui s’imposent pour informer tout parlementaire qui aurait été la cible d’une campagne d’intimidation ou de menace quelconque de la part d’un pays étranger lorsqu’il était à la barre du SCRS.

« Je me serais assuré que le ministre [responsable du SCRS, le ministre de la Sécurité publique] et le parlementaire soient informés coûte que coûte », a-t-il martelé.

M. Fadden a ainsi répondu sans hésiter à une question de l’avocat de la commission Gordon Cameron qui lui demandait comment il aurait traité des informations démontrant qu’un élu était la cible d’une campagne d’intimidation ou de menace de la part d’un pays étranger.

Sans le préciser, l’avocat faisait allusion au cas du député conservateur Michael Chong. M. Chong et des membres de sa famille vivant toujours à Hong Kong ont été la cible d’une campagne d’intimidation de la part du régime communiste chinois en 2021 parce qu’il a parrainé une motion qui a été adoptée à la Chambre des communes décrivant le traitement réservé à la minorité ouïghoure en Chine de génocide.

Or, M. Chong n’a jamais été mis au courant de cette campagne d’intimidation, même si le SCRS avait remis une note d’information au ministre de la Sécurité publique de l’époque, Bill Blair, dès 2021.

M. Chong a appris qu’il avait fait l’objet d’une telle menace en lisant le quotidien The Globe and Mail en mai 2023.

Jeudi, le directeur actuel du SCRS, David Vigneault, doit témoigner devant la commission tandis que le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, sera appelé à la barre des témoins vendredi.