Gérer le Québec quand on traverse une crise sociale ou politique ? Dans l’histoire récente, tous les premiers ministres ont trouvé sur leur route des écueils importants. Aujourd’hui : les années de Philippe Couillard, marquées entre autres par la difficile « rigueur » budgétaire.

(QUÉBEC ) Flegmatique, cérébral ; on n’imagine pas facilement le neurochirurgien Philippe Couillard désarçonné par une crise. Ses problèmes ne sont en rien comparables à la catastrophe qu’a dû affronter François Legault cette année. Mais à son heure, Couillard a dû prendre des décisions susceptibles de laisser des traces pendant longtemps, de cristalliser son action dans l’opinion publique.

« Le Québec est chanceux d’avoir cette qualité d’hommes et de femmes pour le diriger, tous sont dévoués à leurs responsabilités, capables d’analyse approfondie, tous partis confondus », observe spontanément Roberto Iglesias, bras droit de Philippe Couillard et son principal interlocuteur durant tout son règne. Selon lui, avec Jacques Parizeau, Couillard est probablement celui qui avait les qualités intellectuelles les plus remarquables. Ses décisions étaient fondées sur une perspective historique, les gestes faits dans le passé devant des enjeux similaires.

Dans des situations tendues, Couillard arrivait avec sa décision, et soumettait son idée à la discussion ; Jean-Louis Dufresne et la conseillère Johanne Witthom étaient, avec Iglesias, dans le cercle des consultés. Ce n’est qu’en une deuxième étape que le problème était amené au Conseil des ministres ou parfois, au préalable, à un comité ministériel.

Sur l’arrivée des Syriens, sur les immigrants irréguliers du chemin Roxham, Couillard insistait toutefois pour mettre à la table tous les ministères susceptibles d’être impliqués. Même attitude pour les inondations importantes du printemps 2017.

Le maillon faible de ses prises de décision sera constamment le caucus des députés. Couillard était passablement indifférent aux états d’âme de son équipe. Des exceptions : Couillard voulait arrimer les frais de garderie aux revenus des ménages ; les députés le renvoyèrent plusieurs fois à sa table de travail. Une autre foire d’empoigne : le taxi, une industrie archaïque, qui n’était pas préparée à l’entrée en scène d’Uber.

Rapidement, en dépit de l’adversité, Couillard avait jugé que « l’ubérisme », l’économie de partage, était là pour de bon, mais dans les circonscriptions de Montréal, ses députés faisaient face à la colère des chauffeurs, souvent proches du PLQ. D’autres vaches sacrées pour Philippe Couillard, l’Environnement – il se rendra à Paris pour la réunion internationale – avec une incarnation tangible au Québec, l’île d’Anticosti. Pour ce pêcheur impénitent, il n’était pas question de toucher à ce joyau.

Quant aux militants, les membres du Parti libéral réunis périodiquement dans des conseils généraux, de toute évidence, ils n’avaient guère voix au chapitre. Avant lui, Jean Charest et Robert Bourassa étaient bien plus connectés avec leur base. Conséquence directe, quand Couillard est parti en campagne électorale, son parti n’était pas solidement arrimé derrière lui.

« Austérité » ou « rigueur » ?

Dès son arrivée aux affaires, Couillard avait conclu que le Québec aurait besoin d’une marge de manœuvre importante du côté financier pour faire face aux défis économiques qui se dressaient à l’horizon. « Austérité » ou « rigueur », le débat n’aura jamais été tranché, mais on constate qu’au terme du mandat libéral, le gouvernement Couillard avait su dégager une marge de manœuvre dont profitera largement François Legault dans ses deux premières années de gouvernance.

Compressions en éducation, en santé, « faire le ménage suppose qu’on déplace certains meubles. Il y a huit ans, les services au Québec coûtaient entre 8 et 12 milliards de plus qu’en Ontario », résume l’ex-secrétaire général du gouvernement.

Le mouvement de protestation contre les compressions sera probablement le plus lancinant problème du gouvernement Couillard. Manifestations monstres à Montréal, guérilla dans les écoles, dans les hôpitaux ; Couillard restera étonnamment imperméable aux pressions au quotidien.

En parallèle à ces démonstrations de force, les centrales syndicales du secteur public négociaient avec Québec. Or, elles finiront par signer leur convention. Le discours des infirmières contre les heures supplémentaires l’horripilait ; une présidente syndicale, Jennie Skene, avait troqué les heures supplémentaires contre davantage de postes à temps plein ; ses membres l’avaient défenestrée, elles tenaient à leur « surtemps », observe Iglesias.

Indifférent aux nouvelles défavorables

Couillard voulait agir vite, dans la première moitié de son mandat. Arrivés plus tard, les manœuvres ambitieuses, la revue de l’État de Lucienne Robillard, les reliefs de l’opération de « réingénierie » sont restés lettre morte, une boîte de cahier à anneaux, ironise-t-on encore dans les cercles du pouvoir. Les crises sont souvent courtes. Quand Transports Québec et la SQ ont gaffé sur l’autoroute 13 pendant une tempête, Couillard présentera publiquement ses excuses à la population.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Quelque 300 véhicules sont restés pris des heures sur l’autoroute 13, lors d’une tempête de neige dans la nuit du 14 au 15 mars 2017.

Couillard restait indifférent aux nouvelles défavorables, une attitude détachée, de président, plus que de premier ministre, constate son entourage. Il répétait que sa réélection était secondaire, qu’il tenait à faire ce qui lui paraissait nécessaire. Il allait payer cher ce détachement évident aux élections de 2018. Pour d’autres apparatchiks, l’ex-premier ministre était toujours avide de savoir ce que les médias allaient rapporter. Et quand son intégrité personnelle était touchée, il devenait cramoisi. Pour des insignifiances, parfois ; il était furax quand on rapporta que sa femme Suzanne Pilote avait eu grâce à lui un poste de téléphoniste dans l’appareil public.

En revanche, il n’a pas pris personnellement ombrage de la cascade de textes sur l’intégrité de Jean Charest. Les deux hommes, doit-on rappeler, n’étaient pas précisément des amis : Couillard avait mis sa lettre de démission sur la table quand Charest voulait envoyer le nouveau CHUM dans l’ancienne gare de triage à Outremont. Inversement, Charest n’avait pas aimé les déclarations ambiguës de son ministre de la Santé, après la victoire mitigée, minoritaire, du printemps 2007. Aussi, Couillard ne perdait pas de sommeil sur le « branding », l’image de marque du PLQ, durant tout son passage à la tête du parti, sa participation aux activités de financement sera minimale.

Les congédiements de ministres sont toujours un moment difficile pour un chef de gouvernement. Pas pour Couillard. Les primes reçues comme médecin par le DYves Bolduc étaient indéfendables politiquement. Tout était légal, mais le ministre de l’Éducation refusait de retourner l’argent ; out. Couillard n’a pas trop hésité non plus à reléguer aux arrière-banquettes Pierre Paradis, le titulaire de l’Agriculture, accusé de harcèlement par une ex-employée politique. La rétrogradation de Jacques Daoust du poste de ministre des Transports l’a en revanche atteint ; pour lui, Daoust avait été injustement coincé dans une intrigue politique.

Le député Guy Ouellette, sa conjointe Annie Trudel, l’ex-policier Jacques Duchesneau et Robert Poëti, ex-ministre des Transports, en menaient large, jetaient de l’huile sur le feu, déplore Iglesias. Daoust et sa sous-ministre Dominique Savoie ont été sacrifiés, injustement, estime-t-il. Couillard admettra en privé le regretter, tout comme le départ forcé de Sam Hamad, un de ses premiers appuis dans la course à la direction du parti.