Des candidats au coude-à-coude
Le maire sortant, Steve Lussier, nous a donné rendez-vous au carré Strathcona, petit amphithéâtre de verdure reliant l’hôtel de ville à la rue Wellington Nord. L’entrevue, réalisée au début du mois, s’est déroulée sur fond sonore de marteaux-piqueurs.
« C’est le bruit de la prospérité », se réjouit M. Lussier en pointant l’imposant chantier en contrebas, un projet de plus de 40 millions incluant la reconstruction du pont des Grandes-Fourches et l’aménagement d’un parc riverain.
Steve Lussier avait fait campagne aux dernières élections municipales de 2017 en promettant de faire de Sherbrooke la ville la plus prospère du Québec. Nouveau venu en politique, ce directeur du développement hypothécaire à la Banque Nationale avait causé la surprise en délogeant le candidat qui briguait alors un troisième mandat, Bernard Sévigny. Élu avec une confortable avance (presque 6000 voix, soit plus de 11,4 points de pourcentage), il avait bénéficié d’un vote de protestation. Aujourd’hui, deux adversaires sérieux, Évelyne Beaudin et Luc Fortier, comptent à leur tour sur un vote de protestation pour obtenir les clés de l’hôtel de ville. (Patrick Tétreault, quatrième candidat déclaré juste avant la date limite, avait remporté moins de 1 % des votes en 2017.)
Au début du mois, le maire sortant récoltait 21 % des intentions de vote, contre 25 % pour Évelyne Beaudin et 28 % pour Luc Fortin, montrait un sondage Navigator-La Tribune-107,7 FM réalisé auprès de 521 Sherbrookois.
M. Lussier demande un deuxième mandat « pour mener à terme [ses] beaux projets, dont le développement économique »… tout en promettant de ne plus se représenter s’il est réélu. « Je veux faire deux mandats, tout simplement parce que c’est très demandant. »
Steve Lussier n’est pas tant le candidat de la continuité que celui de la deuxième chance, estime le politologue Antonin-Xavier Fournier, qui enseigne au Cégep de Sherbrooke.
« Il a eu un début de mandat très difficile. Durant les deux premières années, il n’était pas prêt », dit-il en évoquant notamment « la bisbille dans son bureau », son gel de taxes suivi de hausses marquées et ses « difficultés à s’exprimer ». Sa syntaxe touffue avait d’ailleurs fait les délices d’Infoman et du Club des mal cités d’Olivier Niquet.
Il y a toutefois eu « beaucoup d’amélioration dans la deuxième moitié du mandat », souligne M. Fournier. « Il a fait des efforts sur le plan de la communication, de l’expression, il comprenait mieux les dossiers. Est-ce qu’on est prêts à lui donner une deuxième chance ? »
M. Lussier réitère sa promesse phare de faire de Sherbrooke la ville la plus prospère, sans toutefois fournir d’indices pour en mesurer l’atteinte.
« Ça se base beaucoup plus sur ce qu’on est capables de garder comme savoir », dit-il en évoquant sa « zone d’innovation », un projet qui s’étend sur près de 7 kilomètres entre l’Université de Sherbrooke et le centre-ville, qu’il espère faire reconnaître comme une première par Québec.
Avec un taux d’inoccupation de 1,3 % et des loyers en hausse de 12 %, l’accès à la propriété et aux logements abordables trône au sommet des priorités des électeurs sondés par Navigator, suivi de l’environnement.
Steve Lussier promet de financer l’ajout d’au moins 125 logements abordables par an, par des investissements municipaux et des mesures incitatives aux propriétaires privés.
En environnement, il cite notamment le Plan nature, en vigueur l’été prochain, la politique de l’arbre, en préparation, et la récupération des sofas, qui s’ajoutera à celle des matelas. Le matin de notre rencontre, il venait de donner un ultimatum au propriétaire d’une station-service désaffectée : présentez un projet à la Ville d’ici six mois ou on démolit pour végétaliser. Une douzaine de bâtiments délabrés sont visés de la sorte sur le territoire de la ville.
La candidate du seul parti
Quelques intersections plus bas, rue Wellington Nord, le local de campagne d’Évelyne Beaudin bourdonne d’activité. La jeune économiste est la seule à se présenter à la mairie avec un parti, Sherbrooke Citoyen, dont elle est devenue la première élue en 2017, après une tentative infructueuse en 2013.
Avec son programme minutieux doublé d’un essai sur la gouvernance municipale, la conseillère sortante propose une petite révolution à Sherbrooke.
Pouvoir accru et budget participatif dans les arrondissements, cible de protection des milieux naturels haussée de 12 à 17 % et ajout de 200 logements abordables par an ne sont qu’un échantillon de son ambitieuse plateforme.
« Notre principale mission, c’est d’intéresser les gens au municipal », résume Mme Beaudin.
C’est difficile de s’adresser directement à François Legault, mais c’est facile de s’adresser au maire, aux élus conseillers et d’avoir une influence.
Évelyne Beaudin, candidate pour le parti Sherbrooke Citoyen
D’où son indignation envers le manque de transparence, « principal problème démocratique des municipalités ».
« Il y a beaucoup d’information cachée, gardée secrète », dénonce Mme Beaudin en évoquant son combat dans le dossier du « chemin Rhéaume », où un règlement de la Ville portant sur le projet résidentiel d’un terrain à forte valeur écologique a été jugé non conforme par la Commission municipale du Québec.
« Sherbrooke Citoyen a un véritable projet de société, c’est emballant », mais ses quatre années d’opposition lui ont donné « une image très négative », note le politologue Antonin-Xavier Fournier. Il est toutefois convaincu que le parti augmentera son nombre de sièges. « Ils ont une base électorale très organisée, ça fait quatre ans qu’ils y réfléchissent, travaillent sur leur parti, leurs candidatures. »
Le candidat surprise
Ex-député libéral de Sherbrooke et ministre dans le gouvernement Couillard, Luc Fortin a tout d’un candidat vedette. Sa candidature, officialisée tardivement à la mi-septembre après qu’il eut maintes fois affirmé avoir peu d’intérêt pour le municipal, lui a cependant valu beaucoup de questions.
Rencontré trois semaines plus tard dans la promenade du Lac-des-Nations, celui qui était jusqu’à récemment vice-président chez Tact Conseil avait peaufiné son argumentaire.
Il y a beaucoup à faire au niveau municipal. On en a fait de véritables gouvernements de proximité, il y a beaucoup plus de leviers pour agir.
Luc Fortin, candidat et ex-député libéral de Sherbrooke
Le désistement de son ami Vincent Boutin, dont M. Fortin et sa femme Émilie Rouleau appuyaient la campagne à la mairie, l’a amené à faire le saut. Une bonne partie de l’organisation de M. Boutin a suivi… y compris Mme Rouleau, dont le père, Jean-François Rouleau, a été conseiller municipal à Sherbrooke durant 27 ans.
M. Fortin propose d’utiliser la moitié des gains réalisés par Hydro-Sherbrooke avec la cryptomonnaie, soit environ 3,5 millions de dollars par an, comme levier pour construire du logement abordable. Au chapitre de l’environnement, il souhaite notamment développer les transports en commun, protéger les espaces boisés et favoriser l’implantation de services de proximité dans les quartiers.
Après « quatre ans de chicanes entre Mme Beaudin et M. Lussier », il prône un « leadership rassembleur » et davantage de soutien des gouvernements supérieurs. « Il faut savoir comment ça marche, comment mettre de la pression, avoir des relations et un respect de ces gens-là », plaide l’ex-ministre libéral.
Luc Fortin a aussi reçu l’appui de figures très connues de la politique municipale sherbrookoise, dont l’ancien maire Jean Perreault et l’ex-président du conseil exécutif Serge Paquin. Bien qu’il soit un nouveau venu sur la scène municipale, « c’est lui, finalement, le candidat de la continuité », analyse le politologue Antonin-Xavier Fournier. Pour des résidants inquiets « de la désorganisation des quatre dernières années » ou d’avoir « les pieds dans le vide avec la gauche », dit-il, « c’est le candidat rassurant ».
Regardez le débat Radio-Canada – La Tribune du 19 octobreLa parole aux électeurs
De passage à Sherbrooke au début d’octobre, nous avons demandé à quelques électeurs pour qui ils prévoient voter le 7 novembre.