(Ottawa) Le premier ministre Justin Trudeau réitère être ouvert à indemniser des entreprises canadiennes qui seraient frappées indirectement par les sanctions contre Moscou, mais précise qu’il se concentre d’abord sur le soutien au peuple ukrainien.

« On n’a pas passé énormément de temps à élaborer des solutions encore parce que notre priorité doit être et continue d’être d’aider l’Ukraine », a-t-il déclaré jeudi en point de presse.

C’est ainsi qu’il a clarifié sa pensée sur le sujet après avoir, mercredi, ouvert la porte à des indemnisations.

Jeudi, M. Trudeau a souligné que dans un monde « interconnecté » comme le nôtre, les sanctions « finissent par faire mal à tout le monde ».

« C’est un moment pour nous de nous tenir ensemble, […] de défendre nos démocraties, la Charte des Nations unies (ainsi que) les principes de l’état de droit », a-t-il plaidé.

Il a noté que ceux qui investissent à l’étranger prennent toujours « un certain risque ». Et bien qu’il soit hors de question pour Ottawa de reculer sur les sanctions, le gouvernement tentera de « minimiser ce risque » et étudiera les façons d’aider les Canadiens qui pourraient être touchés de façon « disproportionnée ».

Quoi qu’il en soit, le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, avait tempéré la veille en soutenant que « l’impact sera probablement très modéré pour le Canada ». Il a affirmé que les échanges commerciaux avec la Russie représentent « moins de 1 % » des importations et exportations canadiennes.

Suspension d’Interpol

Le gouvernement du Canada appelle à la suspension de la Russie d’Interpol, l’organisation internationale de police criminelle, a annoncé M. Trudeau.

« La coopération internationale en matière d’application de la loi dépend d’un engagement collectif envers la Déclaration universelle des droits de l’homme et du respect mutuel entre les membres d’Interpol », a-t-il expliqué.

Le premier ministre a précisé que d’autres États font également cette demande de retrait de l’organisation qui compte 195 pays membres, sans toutefois préciser lesquels.

Plus tôt en matinée, la vice-première ministre, Chrystia Freeland, a annoncé que le Canada impose des tarifs de 35 % aux exportations de la Russie et de la Biélorussie.

Elle a indiqué que le Canada est le premier pays à révoquer en Biélorussie et à la Russie leur statut enviable de partenaire commercial en vertu du droit canadien.

« Nous travaillons de près avec nos alliés pour les encourager à faire les mêmes pas », a déclaré celle qui est aussi ministre des Finances.

Mme Freeland a expliqué que cela signifie que la Russie et la Biélorussie n’auront plus droit aux tarifs commerciaux avantageux dont bénéficient les membres de l’Organisation mondiale du commerce.

La ministre de la Défense, Anita Anand, a de son côté fait savoir que le Canada bonifiait ses envois de matériel militaire vers l’Ukraine. Ottawa expédiera davantage d’aide létale, dont jusqu’à 4500 lance-roquettes et jusqu’à 7500 grenades à main.

Un million de dollars seront également versés à l’Ukraine pour l’acquisition d’images satellites de haute résolution modernes, dans le but d’aider les militaires ukrainiens à mieux suivre les déplacements de l’armée russe.

Immigration : moins d’obstacles pour les Ukrainiens

Le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, a dévoilé un nouveau programme visant à faciliter les démarches d’Ukrainiens souhaitant rejoindre le Canada dans leur fuite de la guerre.

Ceux qui choisissent ainsi le Canada comme refuge pourront avoir recours à « l’autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine », a détaillé l’élu fédéral.

C’est « la façon la plus rapide d’accepter autant d’Ukrainiens que possible », a assuré M. Fraser, mentionnant qu’Ottawa ne se fixera pas de seuil pour le nombre d’Ukrainiens pouvant être accueillis au pays.

« Nous levons la plupart des exigences qui existent en vertu des visas traditionnels », a-t-il ajouté. Un formulaire « simple » devra donc être rempli par ceux qui veulent se prévaloir du nouveau programme et fournir des données biométriques.

Le Bloc québécois redoute de longs délais de traitement et de mise en œuvre, au sein d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), du nouveau programme mis de l’avant.

« Ce n’est pas comme si IRCC nous avait habitués à la rapidité. Alors que le nombre d’exilés double chaque trois jours, ça va prendre combien de temps avant que ces gens-là soient effectivement au Canada ? », a lancé la bloquiste Christine Normandin durant la période des questions de jeudi.

La ministre Anand s’est alors levée pour répondre que « c’est un processus qui va opérer très vite ».

M. Fraser n’a pas pris part jeudi à la période des questions. Le chargé d’affaires à l’ambassade de l’Ukraine au Canada, Andrii Bukvych, était présent.

Par ailleurs, le ministre de l’Immigration a été appelé à préciser pourquoi il n’annonçait pas une levée complète des visas pour les Ukrainiens tentant de fuir la guerre. Il a répondu aux journalistes que cela signifierait que tout citoyen ukrainien pourrait venir au pays et qu’une telle mesure « ouvre également la porte à d’autres qui pourraient passer par les mailles du filet ».

Le gouvernement est préoccupé par des gens « comme ceux qui ont appuyé et ont combattu l’armée ukrainienne dans les huit dernières années dans le Donbass et d’autres qui travaillent contre les Ukrainiens et aident les troupes russes ».

Le recours aux mesures biométriques permettra de filtrer ce type de demandes pour protéger le Canada de ce « risque de sécurité », a soutenu M. Fraser.

Le gouvernement du Québec a pour sa part indiqué mettre sur pieds un « programme humanitaire spécial » à l’intention des Ukrainiens afin de faciliter le regroupement familial. Il permettra aux ressortissants ukrainiens de la province de parrainer leur famille élargie.

Québec promet également d’« accélérer » le traitement des demandes d’immigration temporaire des travailleurs étrangers ainsi que des étudiants étrangers ayant la citoyenneté ukrainienne.

Expulser l’ambassadeur russe ne serait pas sans conséquences

Le premier ministre Justin Trudeau a expliqué jeudi à quel point il peut être délicat, pour son gouvernement, de décider d’expulser l’ambassadeur russe au Canada.

Répondant à la question d’un journaliste sur ce sujet, il a évoqué la possibilité que Moscou lui retourne la pareille, ce qui pourrait selon lui s’avérer désavantageux pour les intérêts canadiens.

« Nous devons équilibrer cela (par rapport à) l’impact positif qu’il peut y avoir, que des diplomates canadiens à Moscou peuvent avoir (pour) comprendre ce qui se passe avec la population russe, (pour) soutenir les gens sur le terrain et aider les Canadiens qui pourraient se retrouver pris en Russie en ce moment », a-t-il déclaré en point de presse.

M. Trudeau a convenu, du même souffle, que l’ambassadeur de la Russie répète la « propagande » et la « désinformation » du président Vladimir Poutine.

Il a ajouté que son gouvernement souhaite être au diapason des « meilleurs intérêts du Canada […], des Canadiens à l’étranger (ainsi que) de nos amis les Ukrainiens ».

Les conservateurs demandent depuis des jours l’expulsion de l’ambassadeur, estimant que de le semoncer, comme l’a fait la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a été insuffisant.

Durant la période des questions de jeudi, le chef adjoint des conservateurs, Luc Berthold, a de nouveau tapé sur ce clou.

« (Le) premier ministre disait en octobre “La désinformation est une menace pour la démocratie”. Pourquoi tolère-t-il encore chez nous le propagandiste en chef de la Russie au Canada ? », a-t-il lancé.

« Je reçois quotidiennement des messages remplis de faussetés sur l’invasion illégale de Poutine en Ukraine. D’autres Canadiens sont soumis à ces messages, dont plusieurs reprennent mot pour mot la déclaration de l’ambassadeur russe », a ajouté l’élu en faisant référence à des propos diffusés via le compte Twitter de l’ambassade de la Russie au Canada.

C’est la ministre de la Défense, Anita Anand, qui s’est levée pour répondre à l’intervention du député Berthold. « On doit défendre les Canadiens contre la désinformation et la propagande. On ne se laissera pas intimider », s’est-elle contentée de dire. Le premier ministre n’a pas pris part à la période des questions.

Le gouvernement du Canada a demandé la suspension de la Russie d’Interpol, imposé des tarifs de 35 % aux exportations de la Russie et de la Biélorussie. Ottawa a aussi annoncé jeudi l’envoi de milliers de lance-roquettes et de grenades à main à l’armée ukrainienne.