(Québec) Le Barreau du Québec estime que les dispositions prévues au projet de loi 2 pour encadrer la gestation pour autrui, soit le recours à une femme porteuse pour fonder une famille, « ratent la cible de protection du public ». Il réclame des modifications importantes à la réforme du droit familial que le gouvernement souhaite adopter d’ici la fin de la session, même si les partis d’opposition jugent le délai trop court.

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, passe ce printemps d’une réforme majeure (la loi 96 sur la langue française) à une autre. Son projet de loi 2 constitue la première partie d’une mise à jour réclamée depuis longtemps du Code civil. Elle touche d’abord aux enjeux de filiation, alors que les sujets liés à la conjugalité – comme l’encadrement des conjoints de fait – doivent être traités au cours de la prochaine législature.

En matière de gestation pour autrui, dans le contexte où les contrats qui lient les parents d’intention à une femme porteuse sont actuellement invalides au Québec, même si cette pratique est courante, le gouvernement prévoit entre autres :

-que les parents d’intention et la femme porteuse suivent indépendamment une formation avec un intervenant psychosocial ;

-que les deux parties signent une convention notariée, laquelle est ensuite consignée dans un registre pour assurer à l’enfant un accès à la connaissance de ses origines ;

-que la femme porteuse soit âgée d’au moins 21 ans, qu’elle puisse résilier unilatéralement et en tout temps la convention notariée qui la lie aux parents d’intention ;

-qu’elle dispose de 7 à 30 jours après la naissance pour donner son consentement afin que le lien de filiation de l’enfant soit établi à l’égard des parents d’intention ;

-que les parents d’intention ne puissent pas changer d’idée en cours de gestation.

En entrevue avec La Presse, la bâtonnière du Québec, MCatherine Claveau, affirme que trois modifications au projet de loi 2 sont requises afin d’assurer la protection du public.

Une protection universelle

Dans un premier temps, le Barreau demande au gouvernement Legault d’inscrire que la loi s’applique à toutes les femmes porteuses et aux parents d’intention, « qu’ils signent une entente ou non ». L’objectif est d’assurer une protection universelle, alors qu’il existe des cas ailleurs au pays où des personnes vulnérables ou ayant une situation financière précaire ont recours à la gestation pour autrui sans signer d’entente au préalable.

MClaveau estime également que Québec doit exiger que la femme porteuse, tout comme les parents d’intention, rencontrent indépendamment un conseiller juridique, en plus de la formation déjà prévue auprès d’un intervenant psychosocial. La bâtonnière estime finalement que la convention entre les deux parties n’a pas besoin d’être un document notarié.

« [Il faudrait plutôt] un document qu’on télécharge du ministère de la Justice, qu’on lit, qu’on complète et qu’on signe devant deux témoins indépendants. Il n’y a pas de frais, on a un contrat qui unit tout le monde, et qui est conseillé indépendamment [auprès d’un conseiller juridique]. C’est la solution qui répond à nos objectifs de protection du public et qui couvre l’ensemble des gens qui veulent participer au projet afin qu’ils soient renseignés, qu’ils soient indépendants de fortune ou non », affirme MClaveau.

La question de la gestation pour autrui crée invariablement plusieurs débats. Il y a quelques mois, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) et le Conseil du statut de la femme (CSF) ont demandé à Québec d’exiger qu’une femme ait été mère au moins une fois avant de pouvoir porter un enfant pour des parents d’intention. Le Barreau du Québec affirme pour sa part que ses propositions s’inscrivent dans l’objectif de protéger le public, mais aussi de prévenir la marchandisation de l’enfant et l’exploitation du corps de la femme.

Scinder le projet de loi

Les trois principaux partis d’opposition ont affirmé mercredi qu’il était impensable d’adopter l’ensemble du projet de loi 2 (qui comporte 360 articles) d’ici la fin de la session, le 10 juin prochain. Ils demandent au gouvernement de scinder sa brique législative afin d’adopter dans un premier temps les dispositions qui concernent l’identité de genre. Ces articles répondent précisément à un jugement de la Cour supérieure qui a invalidé certains articles jugés discriminatoires envers les personnes trans et non binaires dans le Code civil.

« Le ministre a fait le choix de déposer un projet de loi mammouth, une réforme du droit de la famille qui est attendue depuis des années, avec quatre semaines qui nous restent dans la législature », a déploré la députée libérale Jennifer Maccarone.

« C’est le gouvernement qui a la prérogative de gérer son agenda législatif, […] c’est donc le gouvernement qui a fait le choix d’avoir le même ministre pour énormes réformes », a ajouté son homologue de Québec solidaire, Alexandre Leduc, en référence au projet de loi sur la langue française qui a occupé le ministre Simon Jolin-Barrette une bonne partie du printemps.

« Ça sera impossible d’arriver à adopter ce projet de loi avec toute la complexité, tous les débats sociaux qu’il comporte […] Notre souci, c’est de légiférer dans la sérénité », a ajouté la députée péquiste Véronique Hivon.