Chez les libéraux, l’affaire est entendue : Pierre Poilievre sera couronné chef du Parti conservateur du Canada samedi prochain. En tous les cas, on s’y prépare, sachant que l’entrée en scène de l’impétueux député marquera la rentrée parlementaire à Ottawa. Mais si l’ombre de Pierre Poilievre plane sur la retraite du Cabinet qui s’amorce ce mardi à Vancouver, les ministres ont nombre d’autres chats à fouetter… et d’erreurs estivales à se faire pardonner.

(Ottawa) L’adversaire à l’ordre du jour

On dira de lui qu’il a un programme caché à la Trump. Qu’il a un parti fracturé à gérer, dont une aile qui tend vers les extrêmes. Qu’il a des atomes crochus avec les complotistes de ce monde. « Pour monsieur et madame Tout-le-Monde, il fait peur, d’une certaine façon, Poilievre. Il peut être diabolisé de façon assez efficace », lâche une source gouvernementale qui a requis l’anonymat afin de s’exprimer en toute franchise.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Poilievre

Sans surprise, chez les libéraux, on a fait notre oppo research, comme on l’appelle dans le jargon politique. On est prêt à définir l’adversaire avant que les Canadiens ne le fassent eux-mêmes. Mais attention, dit cette même source : avant de se concentrer sur le député de Carleton, le gouvernement doit se concentrer à mettre en œuvre ses promesses et à livrer les services à la population. « C’est la base. La frustration des gens, qui est canalisée par Poilievre, elle vient du fait que ça a été tough, cet été : les aéroports, les passeports, l’immigration… », prévient-elle, notant qu’il est tout de même « sûr, sûr, sûr » que l’aspirant à la direction conservatrice figure à l’ordre du jour de la retraite du Cabinet.

« Une course contre la montre »

Les libéraux de Justin Trudeau auront devant eux un troisième leader de l’opposition en l’espace de cinq ans environ. Mais contrairement aux deux précédents, Andrew Scheer et Erin O’Toole, celui-ci aura le temps de prendre ses aises, à condition que le pacte PLC-NPD tienne jusqu’en 2025, note l’ex-stratège conservateur Yan Plante. « Dans les 100 prochains jours, ce qui va être important, c’est de le prendre au sérieux, ne pas penser que ça va être facile, surtout parce qu’à la prochaine élection, les libéraux auront trois mandats derrière la cravate, et le désir de changement des électeurs va être plus élevé que les deux dernières fois », dit celui qui était à Ottawa dans les années où la valse des chefs éphémères était dans le camp libéral – Stéphane Dion, Michael Ignatieff – et non chez les conservateurs. « C’est une course contre la montre qui s’enclenche dès que Pierre Poilievre devient chef », lance l’ancien stratège, aujourd’hui vice-président à la firme de consultants TACT.

L’économie, l’économie, l’économie

La Banque du Canada, qui est sortie de sa réserve habituelle afin de se défendre d’avoir « imprimé de l’argent » pour financer les dépenses de l’État, comme l’en accuse Pierre Poilievre, annoncera une autre hausse du taux directeur mercredi, au jour deux de la retraite du Cabinet. C’est donc dire que la « Justinflation » reviendra sur le tapis cette semaine, comme un prélude à la reprise des travaux parlementaires. « Ça va être ça, le défi, pour Justin Trudeau : Pierre Poilievre va tourner les coins ronds, comme on l’a vu avec la Banque du Canada, et le premier ministre va devoir contre-attaquer en réfutant ses arguments de façon efficace, sans s’enfarger dans les fleurs du tapis », fait valoir Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. L’économie doit être la priorité des priorités, glisse une source gouvernementale. « Il faut parler d’économie — que d’économie, je dirais, presque ! Économie, inflation, coût de la vie. C’est ça, le plus grand enjeu », s’exclame cette source. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, pourrait déposer une mise à jour budgétaire et économique à l’automne.

Restera, restera pas ?

Dans les rangs libéraux, on est conscient de la côte à remonter. La cote de popularité du premier ministre a dégringolé ces derniers mois ; un sondage réalisé par la firme Léger pour le compte de Postmedia en juillet dernier chiffrait à 39 % seulement le taux d’approbation de Justin Trudeau. Et près d’une personne sur deux (49 %) estimait qu’il devrait céder sa place avant le prochain scrutin. « L’arrivée de Pierre Poilievre, ça pourrait le stimuler, confie une autre source gouvernementale s’étant confiée sous le couvert de l’anonymat. Veut-il laisser le Canada entre les mains d’un homme qui a ce type de valeurs ? C’est très possible que la réponse soit non et qu’il veuille se battre. » Et au sein des troupes libérales, la remontée de Joe Biden aux États-Unis inspire. « C’est sûr que l’abrogation de Roe c. Wade l’a aidé. Mais quand il a fait adopter son gros projet de loi [sur la réduction de l’inflation], ça a marché… les chèques n’ont même pas encore été envoyés, mais les gens ont confiance que leur gouvernement livre pour eux », argue une autre personne dans les officines gouvernementales.

La retraite du Cabinet libéral a lieu du 6 au 8 septembre à Vancouver.