(Ottawa) Depuis un bon moment, au Parti vert du Canada, on semble consacrer plus d’énergie à gérer les querelles entre le Conseil fédéral, les militants et les élus de la formation qu’à lutter contre les changements climatiques.

Ceux qui pensaient que l’abcès avait été crevé avec le départ fracassant d’Annamie Paul avaient tort : on a eu droit dans les derniers jours à la démission tout aussi fracassante de la présidente du parti et à une menace de claquer la porte de la part des deux seuls élus verts.

« Mon optimisme est mort »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE LORRAINE REKMANS

Lorraine Rekmans, présidente démissionnaire du Parti vert du Canada

« Je ne peux pas rester, car il m’apparaît qu’il n’y a pas de vision pour un avenir meilleur, mais bien uniquement des efforts pour s’attarder au passé et régler de vieux comptes, alors que la planète brûle. »

Dans sa lettre de démission, celle qui a pris les rênes du parti il y a de cela un an à peine, Lorraine Rekmans, a exprimé tout son découragement de ne pas avoir pu redresser le navire.

La goutte qui a fait déborder le vase semble avoir été le fait qu’elle a mégenré le chef intérimaire Amita Kuttner au moment de l’annonce virtuelle des candidats à la chefferie, le 2 septembre dernier (elle a présenté ses excuses le lendemain sur Twitter).

La coupe, il faut le dire, était déjà presque pleine. L’incident a remis sur le tapis la question de la discrimination au sein du parti, qui faisait déjà l’objet d’une enquête déclenchée à l’époque d’Annamie Paul.

La présidente démissionnaire était d’avis que la course à la direction devrait être mise sur la glace.

Les aspirants à la chefferie se sont braqués.

Les deux seuls députés verts à la Chambre des communes, Elizabeth May et Mike Morrice, ont brandi la menace de siéger comme indépendants. L’ex-cheffe verte a toutefois démenti avoir eu cette intention, selon La Presse Canadienne.

N’empêche, les évènements des derniers jours ont eu raison de Lorraine Rekmans, qui était la première Autochtone à diriger la formation. « Je suis épuisée ; mon optimisme est mort », a-t-elle écrit dans sa lettre de démission.

« Crise de croissance »

Au téléphone, Jonathan Pedneault, qui se présente à la direction du parti en tandem avec Elizabeth May, peut difficilement nier l’évidence : la formation traverse (encore) une période difficile.

Celui qui fait ses premiers pas en politique active – il a été journaliste et a travaillé pendant 14 ans en zone de conflit, notamment en Somalie, en Afghanistan et au Soudan, dont six ans pour Human Rights Watch – l’admet avec une maîtrise que ne renierait pas un politicien d’expérience.

« Ce type de crise interne au sein du parti n’est pas synonyme d’un parti en déroute. C’est synonyme d’un parti qui est en croissance. On est présentement en crise de croissance en ce qui a trait à de nouvelles réalités sociales comme la diversité et l’inclusion », argue-t-il.

Et le duo croit avoir un remède à ces maux. « Elizabeth et moi connaissons très bien les problèmes de gouvernance, et nous sommes déterminés à amener le parti dans une position qui sera plus stable », dit le jeune homme de 32 ans.

En s’alliant à un Québécois, l’ancienne cheffe répare peut-être des ponts qui avaient été rompus sous la gouverne d’Annamie Paul. Ses relations avec l’aile québécoise étaient très tendues ; elle avait refusé la candidature de l’ex-député bloquiste Christian Simard parce qu’il était souverainiste.

Elizabeth May, quant à elle, avait accueilli à bras ouverts Pierre Nantel, actuellement candidat pour le Parti québécois, même si elle avait au départ nié que sa recrue avait des convictions souverainistes.

Invité à préciser à quelle enseigne il loge, Jonathan Pedneault a dit ceci : « Si le Québec décide de former son propre pays, je pense qu’il a tous les outils nécessaires pour devenir un État qui va être fonctionnel. Ceci étant, présentement, ma grande préoccupation, c’est la question des changements climatiques. »

Quel avenir ?

Si la formation née en 1983 est en train de « s’autodétruire », ses déboires ne sont peut-être pas entièrement attribuables aux luttes intestines, estime Stewart Prest, professeur de science politique à l’Université Quest de Squamish, en Colombie-Britannique.

« D’une certaine façon, le parti est victime de son propre succès, ou plus précisément du fait que les partis fédéraux ont des plans de lutte contre les changements climatiques », dit-il. Et le fait que les coffres du Parti vert soient aussi dégarnis n’aide en rien sa cause, relève le politologue.

« Le parti ne semble pas avoir conscience de la raison pour laquelle il existe », croit pour sa part l’ancien stratège politique Karl Bélanger.

Car toutes ces discordes, qu’il s’agisse de celle sur la diversité ou de celle sur le conflit israélo-palestinien – qui a mené au départ de la députée Jenica Atwin en 2021 –, n’ont « rien à voir avec son fonds de commerce », celui d’incarner « la conscience environnementale du pays », analyse-t-il.

La formation n’est pas en voie d’extinction pour autant, juge celui qui a travaillé pour le NPD des années avant de fonder Traxxion Stratégies, entreprise de relations publiques : « Si le parti parvient à recentrer son discours sur les questions du climat, il va être en mesure de se rétablir. »

Les deux spécialistes s’entendent sur une chose : la tentative d’Elizabeth May de passer le flambeau à une nouvelle génération a échoué, et son emprise demeure.

C’est à suivre.

Le prochain chef vert sera annoncé le 19 novembre.

En savoir plus
  • 6
    Nombre de candidatures – dont deux formées de duos – participant à la lutte à la direction
    Source : Parti vert du Canada
    2,3 %
    Suffrages recueillis (2 députés) par le Parti vert au dernier scrutin, en 2021. Ce taux était de 6,6 % en 2019.
    Source : Élections Canada