(Ottawa) Était-il nécessaire d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin au « convoi de la liberté » l’hiver dernier ? L’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) en doute et demande au gouvernement fédéral de fournir des preuves concrètes à la Commission sur l’état d’urgence qui doit débuter jeudi. Le premier ministre Justin Trudeau continue de défendre cette décision.

« Quand on a vu les barricades illégales cet hiver, on a utilisé les mesures qui étaient proportionnelles et nécessaires pour empêcher ces manifestations illégales de continuer à perturber l’économie et surtout la vie des gens », a-t-il répondu à la question d’une journaliste mercredi. Le premier ministre a répété que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence a été appliqué « de façon responsable et proportionnée » et qu’il a été de courte durée.

Pour l’ACLC, les pouvoirs d’urgence accordés par l’entremise de cette législation doivent être utilisés seulement en dernier recours. « Cela n’a pas été le cas et nous croyons que les actions [du gouvernement] étaient illégales et anticonstitutionnelles », a affirmé l’avocate de l’ACLC, Cara Zwibel, en conférence de presse mercredi. Elle estime que le gouvernement aurait dû tenter d’autres options.

Elle pourra contre-interroger des témoins lors de l’enquête publique. En tout, 65 personnes doivent donner leur version des faits durant cette commission présidée par le juge Paul Rouleau, dont le premier ministre Justin Trudeau et sept de ses ministres.

Généralement, les menaces à la sécurité nationale sont des choses qui mettent la vie des gens en danger, comme des actes de violence graves ou de véritables tentatives de renverser violemment le gouvernement. Ce ne sont pas des seuils qui ont été atteints, selon nous, ou du moins nous n’avons pas vu de preuves qui le démontrent.

Me Cara Zwibel, l’avocate de l'Association canadienne des libertés civiles (ACLC)

Selon MSwibel, on était peut-être davantage face à un problème d’application des lois existantes. Lorsque des centaines de camions ont bloqué les rues du centre-ville d’Ottawa à la fin du mois de janvier, la police d’Ottawa et la Police provinciale de l’Ontario étaient peu intervenues. La situation avait perduré jusqu’au recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Une vaste opération policière réunissant environ 2000 agents de plusieurs provinces avait par la suite délogé les manifestants opposés à la vaccination contre la COVID-19 et aux mesures sanitaires.

« Nous avons besoin d’obtenir davantage d’information sur les discussions qui ont eu lieu entre le gouvernement fédéral et le gouvernement de l’Ontario sur les pouvoirs que la province détenait et qu’elle aurait pu utiliser », a précisé l’avocate. Or, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, ne fait pas partie de la liste des témoins de la commission.

La déclaration d’urgence a été en vigueur du 14 au 23 février. Elle a permis, entre autres, aux institutions financières de geler les comptes bancaires des manifestants sans contrôle judiciaire et aux policiers de réquisitionner des camions-remorques pour déloger les camions des rues du centre-ville d’Ottawa.

Le blocage du pont Ambassador à Windsor, en Ontario, avait été démantelé avant l’entrée en vigueur de la déclaration d’urgence. Deux autres convois de camions aux postes frontaliers de Coutts, en Alberta, et d’Emerson, au Manitoba, avaient été délogés dans les jours suivants.

La sécurité nationale et la protection de l’économie canadienne ont déjà été évoquées à plusieurs reprises par divers ministres du gouvernement de Justin Trudeau pour expliquer ce recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence. Cette législation a été adoptée en 1988 pour remplacer la Loi sur les mesures de guerre. Elle contient deux mécanismes de suivi, soit la tenue d’une enquête publique et un examen par un comité du Parlement.

Comité parlementaire

Les témoignages entendus à ce jour par les élus et les sénateurs lors du Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise n’étaient « pas très concluants », selon son coprésident, Rhéal Fortin, député du Bloc québécois. Le gouvernement leur a également remis au compte-gouttes 1200 pages de documents largement caviardés.

La seule vraie question, c’est : pourquoi avoir proclamé la Loi sur les mesures d’urgence, qui est l’artillerie lourde du corpus législatif ? C’est la loi la plus massue de toutes les lois. Les réponses à cette question ne m’ont pas satisfait.

Rhéal Fortin, député du Bloc québécois et coprésident du Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise

Les travaux du comité vont se poursuivre durant l’enquête publique, en parallèle, mais ils pourraient s’inspirer de nouvelles informations qui découleraient des témoignages.

Les audiences de la Commission sur l’état d’urgence débutent jeudi et se dérouleront jusqu’au 25 novembre. Son rapport final doit être remis au gouvernement d’ici le 6 février 2023. Le gouvernement devra ensuite le déposer à la Chambre des communes et au Sénat au plus tard le 20 février.