(Ottawa) Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, suit « de près » ce qui se passe sur Twitter, où les comptes du premier ministre et de la ministre des Affaires étrangères de la Norvège ont récemment été piratés.

« Désolé ! », a écrit mercredi matin le nouveau propriétaire du réseau social, Elon Musk, en réponse à un tweet du ministère norvégien des Affaires étrangères, dont le compte avait été victime de piratage la journée précédente.

Le ministère avait été identifié comme une organisation gouvernementale du Nigeria.

« Bien que nous estimions nos excellentes relations bilatérales et notre proximité dans l’ordre alphabétique avec le Nigeria, nous apprécierions beaucoup si vous pouviez nous appeler la Norvège », avait-on signalé en interpellant le soutien technique de Twitter.

« P. S. Ceci vaut également pour le premier ministre [Jonas Gahr Støre] et la ministre des Affaires étrangères [Anniken Huitfeld] », y concluait le ministère du pays scandinave.

La mutation qui est en cours au réseau social sur lequel le milliardaire a fait main basse en octobre ne passe pas inaperçue dans les milieux politiques à Ottawa, où Twitter est devenu au fil des ans une plateforme incontournable.

C’est le cas au bureau du ministre Pablo Rodriguez, a-t-on signalé mercredi.

« Étant donné la nature changeante de la situation en ce qui concerne la politique de Twitter, nous suivons la situation de près », a écrit dans un courriel son attachée de presse, Laura Scaffidi, en réaction à ce qui s’est produit avec les comptes norvégiens.

Le bureau du premier ministre Justin Trudeau a transmis les questions de La Presse au Conseil du Trésor du Canada, qui est gestionnaire des communications gouvernementales. Le ministère en question n’y a pas répondu.

De son côté, le bloquiste Martin Champoux estime que le cas de figure norvégien soulève « une nouvelle fois la question de la sécurité sur les plateformes numériques », d’autant plus que « plusieurs gouvernements et institutions utilisent des plateformes comme Twitter afin de communiquer avec le public ».

Si la tangente que prend le réseau social sous la houlette d’Elon Musk semble préoccuper des élus à Ottawa, à la Chambre des communes, « on ne fournit pas de conseils ou des directives aux députés en ce qui a trait à leur utilisation de Twitter », a indiqué Amélie Crosson, porte-parole du bureau de la présidence.

Le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique (NPD) n’ont pas commenté le dossier.

Un réseau non essentiel

Les politiciens peuvent toutefois aisément se passer de Twitter, car d’autres plateformes comme Facebook ou Instagram leur permettent de rejoindre un plus vaste auditoire, croit Nellie Brière, spécialiste en communications numériques.

« Si on veut rejoindre la population, Twitter n’est pas le meilleur endroit. Ce n’est pas un incontournable comme plateforme », argue-t-elle.

« En 2022, chaque personne utilise les plateformes différemment pour s’informer, alors un politicien n’a pas le choix d’avoir une stratégie avec une panoplie de comptes sur une multitude de plateformes », poursuit la conférencière et chroniqueuse techno.

Ottawa veut « museler » les Canadiens, avance Musk

Le ministre Rodriguez pilote à l’heure actuelle deux projets de loi visant à encadrer les géants du web : le C-11, sur les plateformes de diffusion en continu, et le C-18, qui obligerait les géants du web à payer pour le contenu journalistique publié sur leurs plateformes.

Les deux se heurtent à l’opposition du Parti conservateur, et sont décriés dans les médias campés à droite. Un représentant de l’une de ces organisations, le True North Center, a ainsi interpellé mercredi le grand manitou de Twitter à leur sujet.

Sans nommer les projets de loi auxquels il faisait référence, Andrew Lawton a écrit que « le gouvernement libéral du Canada veut réglementer le contenu internet et déléguer aux entreprises de médias sociaux le soin de faire appliquer les interdictions de “discours de haine” », et qu’il espérait voir Elon Musk s’en mêler.

Son souhait a été exaucé tôt jeudi matin.

« Ça ressemble à une tentative de museler la voix de la population du Canada », a analysé l’entrepreneur.

Ce à quoi le bureau du ministre Rodriguez a répliqué que la liberté d’expression était « fondamentale », que les plateformes pouvaient en faire « beaucoup plus », et que le gouvernement comptait « travailler avec elles pour rendre leurs plateformes plus sécuritaires pour nos enfants et pour tous les Canadiens ».

Le projet de loi C-18 a été adopté mercredi à la Chambre des communes. Il prend maintenant la direction du Sénat, où la mesure législative C-11 est embourbée depuis plusieurs semaines.

Journalistes et personnalités aussi piratés

Les comptes de quelques journalistes canadiens, y compris Aaron Derfel (The Gazette), Catherine Gauthier (Radio-Canada) et Hannah Thibedeau (CBC News) ont été victimes de piratage au cours des derniers jours sur Twitter.

L’animateur Guy A. Lepage y a aussi goûté, revêtant les faux habits virtuels d’un vendeur de MacBook autographiés. « C’est vraiment une estie de compagnie de marde », s’est-il exprimé dans une entrevue accordée à La Presse.