(Québec et Montréal) Quelques jours après avoir perdu son combat face à Ottawa pour obtenir une hausse substantielle des transferts en santé, François Legault relance Justin Trudeau en abordant cette fois-ci de front l’enjeu du chemin Roxham. Il demande au gouvernement fédéral de transférer dès maintenant tous les demandeurs d’asile qui se présentent à ce point de contrôle irrégulier vers d’autres provinces, incluant ceux qui parlent français.

Dans une lettre officielle envoyée dimanche au premier ministre du Canada, M. Legault a de nouveau affirmé que la capacité d’accueil du Québec est, selon lui, « largement dépassée », alors que 39 000 passages irréguliers ont été enregistrés en 2022 par le chemin Roxham, situé dans la région de la Montérégie face à la frontière canado-américaine.

« Le Québec a pris en charge une part complètement disproportionnée des demandeurs d’asile au Canada », a déploré une fois de plus le premier ministre du Québec. Il exige du gouvernement fédéral qu’il rembourse à la province « l’ensemble des coûts liés à l’accueil et à l’intégration des demandeurs d’asile pour les années 2021 et 2022 », une somme qui s’élève à plusieurs centaines de millions de dollars, a-t-il dit.

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François Legault

Le premier ministre du Québec a également salué les récents transferts de demandeurs d’asile qui arrivent du chemin Roxham vers l’Ontario, soit 93 % des personnes entrées depuis le 14 février. « Il est essentiel que cette nouvelle approche soit maintenue dans le temps et que les demandeurs d’asile qui entrent de façon irrégulière soient dorénavant tous redirigés vers d’autres provinces, car le Québec a fourni plus que sa part d’efforts au cours des dernières années », a affirmé François Legault.

« Il devient de plus en plus difficile d’accueillir dignement les demandeurs d’asile. Ces derniers peinent à trouver des logements adéquats et sont plus nombreux à se retrouver en situation d’itinérance. Aussi, les organismes communautaires qui leur offrent un soutien direct sont à bout de souffle, et les services publics du Québec doivent également faire face à des pressions accrues sans précédent », a-t-il dit.

M. Legault demande à son homologue « de prendre, de manière urgente et permanente, toutes les mesures nécessaires afin de répartir les demandeurs d’asile, dès leur arrivée à la frontière, vers d’autres provinces, et ce, sans égard au profil du demandeur ».

Il faut « fermer » le chemin Roxham, dit Legault

M. Legault a également souligné à Justin Trudeau que l’accueil massif de demandeurs d’asile à Montréal pose des problèmes en matière de francisation, alors que le gouvernement du Québec intensifie ses efforts face au déclin du français dans la province.

« Le chemin Roxham devra être fermé un jour, qu’on le veuille ou non. Il ne s’agit pas d’un simple enjeu parmi d’autres. On parle ici du respect des frontières territoriales du Canada, et il m’apparaît qu’il est de votre responsabilité première, comme premier ministre de ce pays, de vous assurer que ces frontières sont respectées », a-t-il écrit dans sa lettre à Justin Trudeau.

À quelques semaines d’une visite fort attendue du président américain Joe Biden en sol canadien, le premier ministre québécois a réitéré qu’il souhaite que l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis s’applique à l’ensemble de la frontière. Selon l’entente actuelle, les demandeurs d’asile sont tenus de demander la protection du premier pays dans lequel ils entrent, à savoir le Canada ou les États-Unis. Seuls les points de passage officiels sont soumis à cette entente. Ceux qui sont dits irréguliers, comme le chemin Roxham, ne le sont pas.

Ottawa répond

Le Québec a été « soumis à une immense pression » sur ses services et ressources en raison de l’afflux de demandeurs d’asile par le chemin Roxham, a reconnu le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, dans une déclaration transmise dimanche soir par son cabinet.

« Une approche pancanadienne est essentielle pour relever ce défi mondial, c’est pourquoi le Gouvernement du Canada a transféré des milliers de demandeurs d’asile en dehors du Québec vers l’Ontario depuis juin 2022 », affirme-t-il également.

Sean Fraser dit travailler avec d’autres provinces et municipalités « pour identifier de nouveaux logements temporaires », sans préciser toutefois quels endroits sont concernés.

Quant à l’Entente sur les tiers pays sûrs, le ministre ajoute poursuivre les discussions avec les États-Unis afin de la « mettre à jour ». « Nous encourageons ceux qui cherchent à entrer au Canada à reconnaître les risques de franchir la frontière de manière irrégulière et à explorer la gamme diversifiée de programmes d’immigration offerts par le Canada », conclut-il.

« Desservir notre population »

La vice-première ministre Geneviève Guilbault a aussi haussé le ton, lundi. « On en fait déjà énormément, ça fait des mois que ça dure. […] Ce sont des gens qu’on est, jusqu’à un certain point, heureux d’accueillir, dans le sens où si notre capacité d’accueil et notre disponibilité de service étaient infinies, ça nous ferait plaisir de continuer d’en accueillir », a-t-elle martelé.

« En ce moment, notre capacité opérationnelle est déjà dépassée. Les gens qui paient des impôts, qui paient pour ces services-là, des fois ils n’ont même pas de place dans les écoles, n’ont pas de soins, pas de place en garderie. À un moment donné, on a une responsabilité de desservir notre population », a renchéri l’élue.

Promettant que le Québec « restera toujours une terre d’accueil », Mme Guilbault affirme que le premier ministre Justin Trudeau doit « répondre » et « prendre ses responsabilités », après avoir « fait des appels sur Twitter au monde entier en disant : venez ici ».

« C’est comme d’inviter des gens chez vous, mais dans le fond, ce n’est même pas chez vous qu’ils viennent, c’est chez l’autre. Et quand l’autre te dit : je ne suis plus capable, eh bien, il faut que tu l’aides », a maintenu la vice-première ministre. « Encore une fois, on ne va jamais laisser un enfant ou une mère de famille seule dans la rue sans services », a-t-elle toutefois insisté.

L’idée d’appliquer l’Entente à l’ensemble de la frontière est critiquée par des spécialistes en immigration et en droit international. Certains estiment que cette solution accentuerait la clandestinité de certains passages.

Avec Vincent Larin, La Presse