(Montréal) « Il faut distinguer la laïcité et notre patrimoine » : François Legault s’est défendu quelques minutes avant midi, lundi, pour un gazouillis publié cinq heures plus tôt, dans lequel il semblait romancer le catholicisme alors que son gouvernement prêche pour la laïcité.

« Le catholicisme a aussi engendré chez nous une culture de la solidarité qui nous distingue à l’échelle continentale », avait écrit M. Legault sur Twitter en partageant une chronique de Mathieu Bock-Côté publiée sur le site internet du Journal de Montréal. Notons que le gazouillis de l’élu est une citation extraite de ladite chronique.

Publié un peu avant 6 h 30 lundi matin, le message avait été vu par plus de 238 000 utilisateurs du réseau social cinq heures plus tard. La missive avait été partagée ou reprise près de 250 fois et avait reçu près de 500 réponses, la plupart étant négatives.

Un employé du cabinet du premier ministre, Martin Plante, a pris la défense de M. Legault quelques minutes après la sortie de celui-ci.

« La laïcité n’implique aucunement l’obligation de renier notre patrimoine, ni un devoir d’effacer notre héritage religieux. On peut en être fiers, tout en défendant la laïcité de l’État », a-t-il tweeté.

Le message de François Legault avait vivement fait réagir en avant-midi, lundi, notamment plusieurs membres de la classe politique, qui sont sortis de leur congé pascal pour critiquer ce qu’ils considèrent comme un manque de retenue de la part du premier ministre.

« Ainsi, la laïcité, selon lui, n’est tout simplement pas destinée à faire partie du patrimoine et n’en fait certainement pas partie aujourd’hui ! » a gazouillé l’ex-ministre libéral Gaétan Barrette.

La députée libérale et porte-parole de l’opposition officielle en matière d’éducation, Marwah Rizqy, a pour sa part interpellé le premier ministre en lui rappelant son « devoir de réserve et de neutralité à titre de PM de tous les Québécois dans notre État laïque ».

« M. le premier ministre, il nous arrive tous de faire un gazouillis que nous regrettons. Pas grand monde vous tiendra rigueur de retirer celui-ci avant que ça [parte] en vrille », a-t-elle publié en milieu d’avant-midi.

Cette publication a été partagée par sa collègue de Westmount–Saint-Louis, Jennifer Maccarone, puis par l’ancienne ministre libérale Christine St-Pierre, qui a interpellé le premier ministre.

« Interrogez-vous M. Legault sur l’égalité [femme/homme] au sein du catholicisme ! Il me semble qu’il y a matière à réflexion », a-t-elle écrit.

Gregory Kelley, député libéral de Jacques-Cartier, s’est contenté de partager le gazouillis du premier ministre avec la mention « Je ne suis pas catholique » et un gif tiré du film Happy Gilmore dans lequel le personnage principal se fait dire, en anglais : « meilleure chance la prochaine fois ».

Le député libéral de Nelligan, Monsef Derraji, a pour sa part qualifié de « manque de jugement » le gazouillis de M. Legault, « un premier ministre qui supposément prône la laïcité de [l’État] ».

Ancienne candidate pour le Bloc québécois et Québec solidaire, Shophika Vaithyanathasarma a dénoncé la laïcité à géométrie variable du premier ministre, qui « trace cette ligne [entre État et religion] uniquement quand c’est pas catholique. Laïcité quand ça nous tente… »

« La soutane dépasse », s’est contenté d’écrire le député néo-démocrate de la circonscription fédérale de Rosemont-La Petite Patrie, Alexandre Boulerice.

Son ancienne collègue, également ex-membre du caucus libéral fédéral dans Gatineau, Françoise Boivin, a de son côté rappelé que « le catholicisme a aussi engendré chez nous une culture d’inégalité hommes-femmes ». « Ce qu’il s’en dit et s’en fait des choses au nom “des” religions ! » a-t-elle conclu.

« Pourquoi légitime-t-il un polémiste qui propage des idées aussi dangereuses ? » a demandé le député solidaire de Maurice Richard, Haroun Bouazzi, trouvant « choquant que le premier ministre fasse encore l’éloge de la pensée d’extrême droite de [M. Bock-Côté] qui, la semaine dernière, défendait sans nuance la théorie fasciste du grand remplacement ».

Loin de prendre part à la controverse en ajoutant de l’huile sur le feu, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a plutôt appelé les internautes à « profiter du beau temps en famille ». « Il y a plusieurs choses à dire sur l’héritage du catholicisme au Québec, mais je vous soumets qu’une discussion sur Twitter ne nous avancera pas à grand chose », a gazouillé le député de Camille-Laurin, publication retransmise par le député de Matane-Matapédia, Pascal Bérubé.

« Sauf une fois sur Twitter »

De nombreux internautes ont aussi réagi négativement au message du premier ministre, qui survient quelques jours à peine après que le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, eut rappelé certaines écoles à l’ordre en leur interdisant d’aménager des locaux pour permettre la prière à l’école. L’Assemblée nationale avait adopté unanimement une motion à ce sujet.

L’homme d’affaires Mitch Garber a rappelé que « nous vivons dans une société laïque depuis de nombreuses années, avec la liberté de religion. L’Église, et aucune autre religion, n’a eu d’influence sur nos enfants, tribunaux ou notre police. Cette époque est révolue depuis longtemps. Et ce n’est pas à cause de la loi 21. »

Le président de l’Association des économistes québécois, Marc Lévesque, a partagé le gazouillis du premier ministre en le présentant comme le « fier dirigeant de l’État québécois et défenseur de sa laïcité, qui fait publiquement l’éloge de la religion catholique ».

L’humoriste Sugar Sammy s’est permis une boutade à propos de la controverse, gazouillant que « la laïcité c’est important, sauf une fois sur Twitter ».