(Québec) Le gouvernement Legault permet pour encore deux ans aux ministères et aux organismes publics de communiquer en anglais avec des entreprises installées au Québec lorsqu’ils le jugent nécessaire.

Il introduit en effet une exception à une nouvelle règle de la Charte de la langue française qui oblige l’État à communiquer uniquement en français avec les personnes morales établies au Québec.

En vertu de son projet de loi 96 adopté l’année dernière, le gouvernement Legault a décidé d’exiger une utilisation « exemplaire » et « exclusive » du français de la part de l’État dans ses communications, à quelques exceptions près. Il s’est donné pour objectif de mettre fin à la « bilinguisation de l’État » avec cette réforme de la loi 101.

Le Conseil supérieur de la langue française avait démontré en 2019 que 39 % des membres du personnel de ministères et d’organismes « ayant des interactions écrites avec des personnes morales ou des entreprises établies au Québec utilisent parfois une autre langue que le français dans ce type d’interaction ». C’est 63 % en Outaouais et 51 % à Montréal, avait ajouté l’organisme qui n’existe plus aujourd’hui.

Élaborée à la suite de l’adoption du projet de loi 96, la nouvelle Politique linguistique de l’État, que le gouvernement vient tout juste de rendre publique, insiste sur le « devoir d’exemplarité » de l’État à l’égard de l’utilisation du français.

Néanmoins, « l’Administration peut utiliser une autre langue que le français uniquement dans les cas exceptionnels prévus par la Charte de la langue française » – pour la communauté anglophone par exemple – « ou par son cadre réglementaire ».

Or ce « cadre réglementaire » vient justement d’être fixé. Le ministre responsable de la Langue française, Jean-François Roberge, a soumis au Conseil des ministres le Règlement sur la langue de l’Administration. Ce règlement entrera en vigueur le 1er juin. Il « précise le cadre juridique applicable à l’Administration afin qu’elle puisse satisfaire pleinement à son devoir d’exemplarité ».

Surtout, « il prévoit de nouvelles exceptions au principe général qui est l’utilisation exclusive du français », peut-on lire dans le mémoire de M. Roberge au Conseil des ministres.

« Dispositions de temporisation »

L’État peut ainsi utiliser l’anglais avec une personne morale établie au Québec lorsque cela est « nécessaire pour éviter qu’une communication rédigée uniquement dans la langue officielle compromette l’accomplissement de la mission de l’organisme de l’Administration et que ce dernier a pris tous les moyens raisonnables pour communiquer uniquement dans la langue officielle ».

De même, « un écrit transmis à un organisme de l’Administration par une personne morale ou une entreprise pour obtenir un permis, une autre autorisation de même nature, une subvention ou une autre forme d’aide financière […] peut être rédigé dans une autre langue que le français » lorsque « la transmission de l’écrit en français uniquement compromet l’accomplissement de la mission de l’organisme de l’Administration et que ce dernier a pris tous les moyens raisonnables pour que l’écrit lui soit transmis uniquement dans la langue officielle ».

Ces deux mesures sont présentées comme des « dispositions de temporisation ». Elles seront en vigueur pendant deux ans. Elles « cessent d’avoir effet le 1er juin 2025 », précise d’ailleurs le Règlement.

À partir de quel moment « l’accomplissement de la mission » d’un organisme est compromis et permettrait d’utiliser l’anglais ? On l’ignore.

Les organismes auront à répondre à cette question et à définir des « pratiques linguistiques conformes à leur réalité » et à la Charte.

« À la lumière du régime juridique complet applicable, chaque organisme devra adopter une directive qui précisera la façon dont il exercera son devoir d’exemplarité. Il y indiquera la nature des situations dans lesquelles il entend utiliser une autre langue que le français », poursuit le mémoire de Jean-François Roberge soumis au Conseil des ministres.

L’idée d’utiliser uniquement le français dans les communications de l’État avec les personnes morales établies au Québec fait débat depuis longtemps et est l’objet de multiples reports.

C’est une mesure qui faisait partie de la loi 101 dès son adoption en 1977, mais qui avait été levée par les libéraux en 1993. En 2001, la commission Larose sur l’avenir du français recommandait de la remettre en place. Le gouvernement Landry avait adopté une loi l’année suivante pour entre autres mettre en œuvre cette recommandation. Or, la mesure n’est jamais entrée en vigueur ; les gouvernements Charest, Marois et Couillard ont maintenu le statu quo. Le gouvernement Legault avait promis que la mesure serait mise en application en juin 2022, mais l’opération avait été reportée d’un an, dans le contexte de l’adoption du projet de loi 96.