(Ottawa) Un reportage de Radio-Canada qui a braqué les projecteurs sur de nouvelles vacances de luxe de Justin Trudeau a fourni des munitions à Pierre Poilievre – celui-là même qui avait taxé, dans les heures précédentes, le média de bras de propagande du premier ministre.

Après un voyage sur l’île de l’Aga Khan qui lui avait valu un blâme éthique, un périple de surf à Tofino pour lequel il s’est excusé, car celui-ci coïncidait avec la première Journée de la vérité et de la réconciliation, le premier ministre est encore en eaux troubles.

Cette fois, ce sont celles de la Jamaïque. Le clan Trudeau a célébré le Nouvel An sur l’île, dans un domaine appartenant aux membres de la famille Green, où le coût d’une nuitée dans une villa oscille entre 1100 $ et 7000 $ US pendant le temps des Fêtes.

Ça fait 50 ans que notre famille est amie avec cette famille-là, et comme pour toutes les vacances, on travaille avec le commissaire à l’éthique pour s’assurer que toutes les règles soient suivies.

le premier ministre Justin Trudeau, avant la période de question

L’agent indépendant du Parlement a été consulté en amont du voyage, lequel a coûté au bas mot 162 000 $ aux contribuables, en grande partie (115 000 $) pour les frais liés à la sécurité du premier ministre et de sa famille, tel que l’a rapporté Radio-Canada.

L’équivalent des billets d’avion de Justin Trudeau – qui ne peut voyager à bord d’aéronefs commerciaux – et de sa famille a été remboursé, a-t-on fait valoir à son bureau. Quid des nuitées en villa ? Le premier ministre les a-t-il payées de sa poche ?

Les partis d’opposition ont tenté, en vain, d’arracher cette information à la Chambre des communes, où une déferlante de questions attendait Justin Trudeau, mardi, après une pause d’un peu plus de deux semaines de travaux parlementaires.

Chacun ses super riches

Car en plus d’être bien nantie, la famille Green contribue à la Fondation Pierre Elliott Trudeau, un élément qui a fourni une occasion en or aux adversaires des libéraux de revenir sur les récents tourments de l’organisation de bienfaisance.

Le premier ministre veut nous faire croire que ces donateurs de la Fondation Trudeau lui ont offert des vacances […] en échange de rien. Rien n’est gratuit. C’est une question d’influence et de pouvoir pour les super riches.

le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre

Ni lui ni ses députés n’ont prononcé les mots CBC ou Radio-Canada lors de la séance, au surlendemain de la décision du PDG de Twitter, Elon Musk, d’apposer au diffuseur public l’étiquette de média financé – à 69 %, selon sa dernière évaluation – par Ottawa.

Mais Justin Trudeau, lui, est revenu sur l’épisode, sous le thème des super riches : « Si le chef de l’opposition veut parler d’amitiés, parlons du fait qu’il court vers ses amis américains milliardaires géants de la technologie pour attaquer les nouvelles locales sur lesquelles les Canadiens comptent. Honte à lui ».

Dans le camp bloquiste, le député René Villemure a évoqué le reportage de la société d’État, « l’organe de propagande selon le Parti conservateur », a-t-il ironisé, dans une question néanmoins adressée à Justin Trudeau.

« C’est chez [les Green] que le premier ministre a choisi d’aller en vacances. Comment le premier ministre peut-il continuer de prétendre qu’il n’a aucun lien avec la Fondation Trudeau ? », a asséné l’éthicien de formation.

Il n’est pas impossible qu’aucuns frais n’aient été encourus pour l’hébergement de la famille Trudeau, a indiqué à La Presse une source gouvernementale. Les Trudeau et les Green sont très proches – Pierre Elliott Trudeau était le parrain d’Alexander Green, né en 1980.

« Une question de perception »

En 2021, Alexander et Andrew Green ont créé en mémoire de leur mère la bourse Mary-Jean Mitchell Green au sein de la Fondation Trudeau. La valeur du don ayant permis sa mise sur pied n’a pas été divulguée par l’organisation.

« Comme je l’ai dit maintes fois, cela fait 10 ans que je n’ai aucun engagement direct ou indirect avec la fondation qui porte le nom de mon père », a réitéré Justin Trudeau à la Chambre des communes, mardi.

Le hic, c’est qu’il est ardu de dissocier les deux, dit Daniel Béland, professeur titulaire de science politique à l’Université McGill : « C’est vrai en ce moment, mais il est impossible de dire, historiquement, qu’il n’y a pas de liens ».

Au fond, « ce n’est plus vraiment important de savoir quels sont les détails, même si on va regarder ça », car depuis l’Aga Khan et Tofino, la boussole éthique de Justin Trudeau est devenue « une question de perception », estime le politologue.

En 2017, le Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique en est venu à la conclusion que le premier ministre avait contrevenu à la Loi sur les conflits d’intérêts en se rendant sur l’île de l’Aga Khan, la fondation de ce dernier ayant des liens avec le gouvernement.