Le gouvernement Trudeau emboîte le pas à plusieurs pays et annonce qu’il suspend « temporairement » ses opérations au Soudan, jugeant que la situation s’y est « rapidement détériorée », alors que les combats meurtriers entre armée et paramilitaires font rage depuis plus d’une semaine dans ce pays d’Afrique du Nord-Est.

« Nous avons pris la décision de suspendre temporairement nos opérations au Soudan. Nos diplomates sont en sécurité et travaillent de l’extérieur du pays. Nous demeurons en contact avec les Canadiens touchés par cette crise et leur fournissons des informations et des conseils », a indiqué dimanche la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly. Elle avait déjà annoncé vendredi l’envoi d’équipes à Djibouti, le pays voisin, en plus d’avoir suspendu les activités en personnes de l’ambassade du Canada à Khartoum.

Dans un communiqué, Affaires mondiales Canada précise que la situation au Soudan rend dorénavant « impossible d’assurer la sécurité de notre personnel à Khartoum ».

Parce que « la situation au Soudan s’est rapidement détériorée », le personnel diplomatique canadien « travaillera temporairement à partir d’un endroit sécuritaire à l’extérieur du pays ». Les diplomates « continueront leur collaboration avec le gouvernement du Soudan, les pays voisins ainsi qu’avec des gouvernements aux valeurs similaires », poursuit le gouvernement.

Selon des témoignages recueillis par l’Agence France-Presse, des tirs et des explosions ont encore secoué dimanche la capitale et ses banlieues, survolées par des avions de combat. Depuis le 15 avril, les deux généraux au pouvoir, Mohammed Hamdan Dagalo des Forces de soutien rapide et Abdel-Fattah Burhan de l’Armée soudanaise, se sont lancés dans une guerre sans merci.

Les violences, principalement à Khartoum et au Darfour (Ouest), ont fait selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) plus de 420 morts et 3700 blessés. Des dizaines de milliers de personnes vers d’autres États du Soudan, ou vers le Tchad et l’Égypte, ont déjà été déplacées.

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Cet édifice a été endommagé lors de combats entre les clans des deux généraux rivaux.

« Les gens là-bas ont très peur. Ils se cachent sous les lits quand ils entendent des bruits. Ils n’ont pas d’électricité, souvent pas d’eau. Et ils ne peuvent pas avoir beaucoup de fournitures dans les marchés », s’inquiète le président de l’Association des communautés soudanaises au Canada (ACSC), Ashraf alTahir, dont la mère, le frère, la sœur et la nièce sont toujours au Soudan.

Son groupe, qui craint un génocide au Soudan comme celui qui avait frappé le Rwanda il y a plusieurs années, dit être à « collecter ses propres données » sur le nombre de Canadiens qui s’y trouvent, afin d’identifier clairement les besoins. Selon une évaluation des autorités, il y en aurait environ 1500, mais l’ACSC juge que ce nombre pourrait être plus élevé. « On entend que les services de téléphonie et de l’internet seraient en panne pour au moins deux compagnies de services au Soudan », dit M. alTahir.

Samedi, l’association a écrit au gouvernement pour demander de créer un programme afin de permettre à des familles de parrainer un proche pris dans la tourmente au Soudan. M. alTahir affirme que la communauté soudanaise au Canada est prête à payer pour tous les coûts associés à ce programme.

« Cessez-le-feu immédiat »

Ottawa exhorte toutes les parties « à accepter un cessez-le-feu immédiat et à participer à des efforts de médiation soutenus par des partenaires régionaux qui encouragent le dialogue pacifique ». Le gouvernement Trudeau réitère d’ailleurs qu’il « demeure déterminé à appuyer le peuple soudanais dans leur désir d’assurer un futur démocratique ».

Malgré le départ des diplomates, du personnel a été recruté sur place afin de surveiller la situation et offrir des services consulaires « limités ». Ottawa dit examiner « toutes les options » pour soutenir ces employés « essentiels ». Idem pour les Canadiens qui se trouvent toujours au Soudan.

L’Arabie saoudite a annoncé samedi que des ressortissants canadiens figuraient parmi plus de 150 personnes, dont des diplomates et des responsables étrangers, évacuées du Soudan lors d’une opération menée par les forces navales du royaume.

Aux Canadiens qui auraient besoin d’une assistance consulaire, le gouvernement conseille de contacter le Centre de veille et d’urgence d’Affaires mondiales Canada.

Cinq options sont possibles : par téléphone au +1613-996-8885, par message texte au +1 613-686-3658, par WhatsApp au +1 613-909-8881, par Telegram à « Urgence Canada à l’étranger, ou par courriel à sos@international.gc.ca. Il est aussi recommandé de s’inscrire au registre des Canadiens à l’étranger au voyage. gc. ca pour avoir toutes les mises à jour.

Washington a lancé le bal

C’est le président américain Joe Biden qui avait d’abord annoncé samedi soir tard que l’armée avait « mené une opération pour extraire le personnel du gouvernement américain de Khartoum ».

Selon un haut responsable du département d’État, John Bass, quelque 100 soldats des opérations spéciales américaines ont participé à l’évacuation d’un « peu moins d’une centaine » de personnes, dont plusieurs diplomates étrangers, au moyen d’une opération héliportée. Une évacuation des autres ressortissants américains, qui seraient plusieurs centaines, n’est pas prévue « pour le moment ».

L’Union européenne affirme multiplier les contacts pour évacuer par voie terrestre ses quelque 1500 ressortissants pris dans les combats à Khartoum. Outre l’UE, sept pays membres, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Grèce et la République tchèque, ont des représentations dans la capitale soudanaise.

La France a annoncé dimanche avoir commencé une « opération d’évacuation rapide » de ses ressortissants et de son personnel diplomatique. L’Italie, elle, travaille à « une fenêtre d’opportunité pour partir de Khartoum, qui pourrait avoir lieu » dimanche. Les Pays-Bas ont aussi déclaré dimanche participer à l’opération d’évacuation internationale.

Berlin, de son côté, a annulé une tentative d’évacuation mercredi. Trois avions militaires, qui auraient transporté environ 150 citoyens allemands, se sont dirigés vers le pays, mais ont été contraints de faire demi-tour, selon l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.

Au Moyen-Orient, l’Arabie saoudite a également évacué samedi 91 Saoudiens ainsi qu’une soixantaine de ressortissants de 12 autres pays en direction de Jeddah, sur la mer Rouge.

L’Irak a annoncé dimanche l’évacuation de 14 Irakiens de Khartoum « vers un site sécurisé de Port Soudan », assurant que les efforts se poursuivent pour évacuer ceux qui restent, tandis que le Liban a déclaré que 60 de ses ressortissants avaient également quitté Khartoum par la route.

En Turquie, l’évacuation des quelque 600 ressortissants a commencé dimanche depuis deux quartiers de Khartoum et de Wad Madani, à 200 kilomètres au sud. Plusieurs autres pays se préparaient dimanche à évacuer leurs ressortissants, notamment la Corée du Sud et le Japon, en déployant des forces dans des pays voisins. Le Royaume-Uni a exhorté les ressortissants britanniques à enregistrer leur présence.

Avec l’Agence France-Presse