(Ottawa) Le conservateur Michael Chong l’a entendu mardi de la bouche de hauts responsables de la sécurité nationale : Pékin a bel et bien déployé une campagne de menaces contre des membres de sa famille à Hong Kong. Le premier ministre Justin Trudeau affirme que le SCRS n’en avait pas informé le gouvernement, mais qu’importe : ce qu’il faut, maintenant, c’est expulser le diplomate chinois qui a orchestré cette campagne de Toronto, insiste le député dont les proches ont été visés.

L’élu a eu la confirmation mardi de ce qu’il redoutait lors d’une réunion organisée par Justin Trudeau dans une pièce de l’édifice de l’Ouest, à laquelle ont participé la conseillère à la sécurité nationale du premier ministre, Jody Thomas, et le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), David Vigneault.

Ce dernier lui a lu l’extrait d’un rapport du SCRS préparé en juillet 2021 qui a été publié lundi dans le Globe and Mail. « Il a lu les passages qui me concernaient, qui confirment qu’un diplomate du consulat de Toronto a pris pour cible des membres de ma famille à Hong Kong », a relaté M. Chong en entrevue, mercredi, disant avoir coupé le contact avec ses proches depuis plusieurs années afin de les protéger.

Et si le Canada ne sévit pas, son inaction sera une invitation pour tous les régimes autoritaires, prévient-il.

« Ce diplomate [Zhao Wei] aurait dû être expulsé [mardi]. À mon avis, le gouvernement n’a d’autre choix que de le déclarer persona non grata, d’autant que cette information est publique. S’il ne le fait pas, il envoie au monde le message que le Canada est ouvert à ce genre d’ingérence, et qu’il n’y a aucune conséquence », s’indigne l’élu ontarien.

« Toutes les options sont sur la table », ont assuré les libéraux lors de la période des questions, mercredi.

Dans les banquettes conservatrices, on a chahuté.

Le SCRS n’a pas relayé l’information, dit Trudeau

Le premier ministre a affirmé mercredi que l’information sur le député conservateur n’avait pas été relayée par le SCRS. « Nous avons demandé ce qui était arrivé avec cette information, si elle était sortie du SCRS. Elle ne l’a pas été. Le SCRS a déterminé que ce n’était pas quelque chose qui méritait d’être communiqué à de plus hauts niveaux, parce que ce n’était pas une préoccupation assez sérieuse », a-t-il expliqué.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau

Le tir sera toutefois corrigé « immédiatement », a-t-il précisé. « Nous avons clairement indiqué au SCRS et à nos responsables de la sécurité nationale qu’à l’avenir, lorsqu’il y a des inquiétudes concernant un député ou sa famille, elles doivent être communiquées à des niveaux plus hauts [au gouvernement], même si le SCRS estime qu’il ne s’agit pas d’un niveau qui justifierait qu’elle pose des gestes », a précisé Justin Trudeau.

L’agence de renseignement a-t-elle erré en taisant ces informations ? Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a refusé de jeter la pierre au SCRS. « Il est absolument impératif que le gouvernement obtienne des recommandations concrètes, en temps opportun, sur toute menace en provenance d’une entité étrangère visant un parlementaire », s’est-il contenté de répondre en point de presse.

La parole de Trudeau remise en question

Justin Trudeau dit avoir appris les révélations sur la famille de Michael Chong lundi, dans le journal.

Les conservateurs et les bloquistes n’en croient rien.

« Ça a été documenté il y a deux ans par ses propres services de sécurité. Comment le premier ministre peut-il s’imaginer que nous allons croire une affirmation aussi ridicule ? », a dénoncé le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre lors de la période des questions en Chambre.

« Je vais le dire franchement : je ne le crois pas », a lancé le chef bloquiste Yves-François Blanchet, en mêlée de presse. « Si c’était la première fois qu’il disait : “Je ne savais pas cela”, peut-être. Mais il dit ça trois fois par jour ! Que sait-il ? Il ne sait jamais rien », a-t-il ironisé dans le foyer de la Chambre des communes.

De son côté, le leader néo-démocrate Jagmeet Singh juge que tout cela confirme une fois de plus la pertinence d’ouvrir une enquête sur l’ingérence. Invité à se prononcer sur la décision du SCRS de taire les menaces visant un élu et sa famille, il a plaidé que « si c’est vrai, c’est un problème sérieux et évident ».

Une « mauvaise décision » du SCRS

Selon Stephanie Carvin, professeure adjointe d’affaires internationales à l’Université Carleton, une chose est certaine : le rapport produit en juillet 2021 n’est pas resté dans les bureaux du SCRS. Peut-être n’a-t-il pas été envoyé au gouvernement, mais il « a été préparé, présumément, pour une autre organisation », relève-t-elle.

Le choix de ne pas le porter à l’attention de Justin Trudeau – et de Michael Chong – lui paraît malavisé.

« Je ne dispose pas de toutes les informations, mais les menaces semblaient claires et graves. Connaissant les méthodes dont le régime chinois fait usage à l’endroit des dissidents à Hong Kong, c’était le mauvais choix », croit la professeure, ancienne analyste au SCRS.

Le SCRS n’avait pas répondu aux questions de La Presse au moment de publier ces lignes, mercredi.

Calcul politique ou dysfonctionnement ?

Pour Michael Chong, des zones d’ombre subsistent. « Ça peut être deux choses : soit c’était un calcul politique de la part du gouvernement Trudeau, soit c’était un dysfonctionnement complet de la machine gouvernementale », suppose-t-il.

Dans les banquettes libérales, on s’est indigné face à la suggestion que l’affaire aurait pu être étouffée pour des motifs partisans. « Il est scandaleux de prétendre qu’un élu appuierait une attaque contre un autre élu », s’est insurgé le ministre Mendicino.

L’ambassade de Pékin à Ottawa et le consulat de la Chine à Toronto n’ont pas répondu aux questions au sujet de Zhao Wei.