(Saint-Lazare-de-Bellechasse) La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, s’est aventurée en territoire hostile jeudi en se rendant dans Bellechasse, à l’est de Lévis, pour expliquer l’abandon du troisième lien autoroutier, une décision qui suscite la grogne dans la région. Élus et gens d’affaires locaux sont sortis insatisfaits de leur rencontre avec Mme Guilbault, qui a rejeté leur principale demande.

Il y avait un message clair envers la ministre à l’entrée de Saint-Lazare-de-Bellechasse. Le panneau d’accueil électronique du village montrait une image du « bitube » sous-fluvial promis par la Coalition avenir Québec (CAQ) en campagne électorale. « Le lien autoroutier, on y tient ! », pouvait-on lire.

Elle s’est rendue à une rencontre avec des élus et des gens d’affaires locaux, à leur invitation. Parmi eux, le préfet de la MRC de Bellechasse, Yvon Dumont, qui n’avait pas mâché ses mots après l’annonce de l’abandon du tunnel autoroutier. « On m’a fait une promesse d’ivrogne. Depuis six ans, on nous a promis qu’on aurait un troisième lien et maintenant, ça tombe sur le cul », lançait-il après une réunion du conseil des maires selon un reportage d’un média local, La Voix du Sud. Il disait n’avoir aucun intérêt pour un tunnel réservé au transport collectif, le nouvel engagement caquiste.

Selon des lignes de communication préparées par les personnes présentes à la rencontre avec la ministre, et que La Presse a pu consulter, la frustration est grande. « Nous avons tellement cru à la promesse du gouvernement. Nous avons fait confiance, confiance aveugle envers le gouvernement, tellement que nous en payons le prix aujourd’hui », peut-on lire. « Force est d’admettre que nous avons été bernés. Nous sommes revenus à la case départ. On vient de frapper la tête du serpent comme dans un jeu serpent échelle. »

À la sortie de la rencontre, Yvon Dumont n’a pas caché sa déception. « Mme Guilbault ne m’a pas convaincu du tout. Elle ne semble pas vouloir venir travailler avec nous pour un prochain lien. » Élus et gens d’affaires locaux ont réclamé en vain un comité pour étudier l’idée d’un lien autoroutier à l’est entre les deux rives pour le transport automobile et de marchandises.

Alain Vallières, de Développement économique Bellechasse, s’est dit déçu et insatisfait de la rencontre avec la ministre. Le recul de la CAQ est pour lui « une gifle en plein visage ».

Ce qu’on a entendu, ça ne répond pas à nos attentes. C’est un discours urbain qui ne répond pas aux besoins du milieu rural. On a beaucoup de craintes pour le développement et l’avenir. On n’a pas senti beaucoup d’écoute à cet égard-là.

Alain Vallières, directeur général, Développement économique Bellechasse

Geneviève Guilbault a reconnu que les participants à la rencontre ont « parlé à cœur ouvert », « nommé les choses » et exprimé « beaucoup de déception ». « Pas question » pour elle d’accéder à la demande d’étudier un lien autoroutier plus à l’est entre les deux rives. Elle entend créer un comité chargé d’« analyser d’autres solutions pour améliorer la mobilité », une proposition qui a été accueillie froidement.

La politique, « des fois, c’est plus compliqué et plus difficile. Des gens sont déçus par nos décisions, et il faut être capable de gérer ça et d’écouter », a-t-elle affirmé.

La CAQ dégringole dans la région de Québec

En plus de M. Vallières, d’autres gens d’affaires participaient à la rencontre, dont la présidente et le directeur général de la Chambre de commerce Bellechasse-Etchemins, Nathalie Roy et Frédéric Lajoie. Ces trois personnes ont eu une rencontre avec le chef conservateur Éric Duhaime et son candidat défait aux dernières élections, Michel Tardif, il y a quelques jours.

La circonscription de Bellechasse est détenue par la CAQ depuis 2018, mais sa majorité a fondu de moitié aux dernières élections. Stéphanie Lachance a conservé son siège, devançant M. Tardif par une avance tout de même confortable de 3453 votes. Ce sont surtout ses deux collègues de la Beauce qui ont été menacés par le Parti conservateur du Québec (PCQ).

Stéphanie Lachance n’avait pas défendu l’idée d’un tunnel réservé au transport collectif après sa présentation sommaire par Mme Guilbault. « Pour Bellechasse, ce n’est pas une formule qui va être gagnante. Bellechasse, vous le savez, c’est un territoire très grand et qui est desservi par l’automobile. Bellechasse, c’est 35 000 citoyens qui circulent en automobile », déplorait-elle. Présente à la rencontre en compagnie de la ministre, la députée locale a reconnu que les discussions ont été « franches », mais qu’il faut maintenant « travailler ensemble pour l’avenir de la région et de l’Est-du-Québec ». Le préfet a dit avoir des « réserves » au sujet de la députée. Il a répondu à un journaliste qu’il a eu un échange de courtoisie avec Éric Duhaime récemment.

Selon un sondage Léger diffusé par les médias de Québecor cette semaine, la CAQ dégringole de 14 points dans la grande région de Québec par rapport à février : elle passe de 40 % à 26 %. Le Parti québécois (PQ) s’empare du trône, gagnant huit points à 28 %. Le Parti conservateur du Québec (PCQ) est troisième et passe de 17 % à 23 %. Dans l’ensemble du Québec, la CAQ se maintient en première place à 36 %, en recul de quatre points. Le PQ grimpe d’autant de points et obtient un résultat de 22 %, devançant Québec solidaire (16 %), le Parti libéral du Québec (14 %) et le PCQ (10 %).

L’histoire jusqu’ici

2014

La CAQ promet une étude de faisabilité pour un troisième lien, une idée relancée par la Chambre de commerce de Lévis à l’époque.

2018

La CAQ fait du troisième lien Québec-Lévis un engagement formel.

2022

La CAQ promet un tunnel autoroutier composé de deux tubes au coût « maximal » de 6,5 milliards, après avoir mis de côté une première mouture plus coûteuse et composée d’un seul tube gigantesque.

2023

La CAQ abandonne le troisième lien autoroutier, se justifiant par un achalandage en baisse sur les deux ponts et des coûts en hausse. Le gouvernement s’engage à construire un tunnel réservé au transport collectif reliant les centres-villes de Québec et de Lévis, projet dont il refuse de dévoiler la facture estimée.