(Ottawa) La campagne d’intimidation mise en œuvre par le régime de Xi Jinping contre le conservateur Michael Chong et sa famille vient de valoir une convocation à l’ambassadeur de Pékin à Ottawa. Et l’affaire est encore loin d’être terminée, alors que le député en question a été informé que le rapport du SCRS a bel et bien circulé dans les plus hauts rangs du gouvernement, contrairement à ce que Justin Trudeau disait la veille.

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a demandé à son sous-ministre David Morrison de convier l’ambassadeur Cong Peiwu « à la lumière des faits révélés par le SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité] », pour l’informer « directement que le Canada ne tolérerait aucune forme d’ingérence ».

Cette convocation survient après la parution, lundi dernier, dans le Globe and Mail, d’un article dans lequel on rapporte que Michael Chong et des membres de sa famille ont été la cible de menaces, dans le cadre d’un stratagème qui a été mis sur pied par un diplomate chinois du consulat de Toronto, Zhao Wei.

La ministre Joly a fait valoir devant un comité des Communes, jeudi matin, que « toutes les options étaient sur la table » entourant le sort de cet individu, plaidant que le gouvernement examinait quelles pouvaient être les « conséquences » pour sanctionner « ce comportement ».

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Michael Chong

Le député conservateur au cœur de cette histoire ne s’est guère montré impressionné.

Car selon lui, Ottawa aurait déjà dû lui montrer la porte. « Pas un seul diplomate de la République populaire de Chine n’a été expulsé […] Et les Canadiens sont dans la mire des plus de 100 diplomates chinois accrédités ici », s’est emporté Michael Chong, insatisfait des réponses de son interlocutrice.

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Mélanie Joly

Il y a un os, selon la cheffe de la diplomatie canadienne : Ottawa redoute des représailles de Pékin. « Il est important que les Canadiens sachent, ce que nous avons appris de l’expérience des deux Michael, c’est que […] la République populaire de Chine prendra des mesures », a-t-elle exposé.

La version de Justin Trudeau contredite

Un peu plus tard, lors d’une période des questions extrêmement houleuse à la Chambre des communes, le député Chong y est allé d’une nouvelle révélation qui a plongé le gouvernement Trudeau encore davantage dans l’embarras.

« Je viens d’être informé par la conseillère en sécurité nationale [Jody Thomas] que le rapport de juillet 2021 du SCRS a été transmis par le SCRS aux ministères pertinents, à la conseillère en sécurité nationale, et au Bureau du Conseil privé », a-t-il déclaré.

Il s’est cependant gardé de fournir un détail : Justin Trudeau, lui, n’a pas su. Pas plus que sa cheffe de cabinet, Katie Telford. Il l’a mentionné plus tard en mêlée de presse : « [Jody Thomas] m’a indiqué que le premier ministre n’avait pas reçu cette information, ni sa cheffe de cabinet ».

C’est également ce qu’a plus tard souligné le bureau du premier ministre.

« La conseillère à la sécurité nationale et au renseignement a confirmé à M. Chong que les informations du SCRS n’avaient pas été communiquées au premier ministre ou à son cabinet, ni aux ministres », a indiqué Alison Murphy, porte-parole de Justin Trudeau.

Le SCRS n’avait pas encore fourni de détails supplémentaires au moment de publier ces lignes, jeudi après-midi — entre autres sur le fait que des renseignements sur d’autres élus menacés figureraient dans ce rapport confidentiel, dont les passages concernant Michael Chong ont fuité dans le Globe and Mail.

Là où la version du premier ministre Trudeau porte à confusion, c’est que celui-ci disait mercredi matin que les renseignements sur le député conservateur n’étaient pas « sortis du SCRS », l’agence ayant « déterminé que ce n’était pas quelque chose qui méritait d’être communiqué à de plus hauts niveaux ».

Il a donné la directive qu’« à l’avenir, en ce qui concerne les questions relatives à des députés, lesdites informations devront être pleinement partagées et discutées par les autorités responsables », a rappelé sa porte-parole, jeudi.

Pékin nie

Au milieu de cette déferlante d’informations, l’ambassade de la Chine au Canada a démenti toute forme de tentative d’ingérence, comme elle a l’habitude de le faire.

Les « politiciens et les médias », a regretté la mission de Pékin sur son site web, « ont faussement affirmé que les responsables consulaires chinois au Canada avaient proféré de soi-disant menaces » contre un député canadien et ses proches.

« C’est de la pure manipulation politique », a-t-on pesté.

Le SCRS confirme des stratagèmes chinois

Les actions perturbatrices chinoises en sol canadien sont documentées dans le rapport annuel de 2022 qu’a déposé le SCRS jeudi matin à la Chambre des communes. On y fait état d’intimidation, et de l’installation de « postes de police » chinois au Canada, entre autres.

« En 2022, il a été signalé que des divisions subnationales du ministère de la Sécurité publique (MSP) de la République populaire de Chine (RPC) avaient installé trois “postes de police” au Canada, sans y avoir été autorisées par le gouvernement canadien », lit-on dans le rapport.

On a aussi vu « des représentants de divers organismes d’enquête chinois » venir au Canada, « souvent sans en informer les forces de l’ordre locales », pour menacer ou intimider afin de « tenter d’obliger des citoyens et des résidents permanents du Canada d’origine chinoise soi-disant en fuite à retourner en RPC », écrit-on.

Des spécialistes en sécurité nationale sont d’avis que pour contrer ce phénomène, le gouvernement doit se doter d’un registre d’agents étrangers. Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, a lancé des consultations à ce sujet.