(Ottawa) Non, le projet de loi C-311 « n’a rien à voir avec l’avortement », assure-t-on dans le camp conservateur. Oui, la mesure législative « va rouvrir le débat sur l’avortement par la porte d’en arrière », s’alarme-t-on chez les libéraux. Une chose est certaine : en Chambre, mardi, on débat du nouveau bébé de la conservatrice antiavortement Cathay Wagantall à la Chambre des communes.

L’élue saskatchewanaise, à qui l’on doit de nombreuses tentatives de revisiter le droit à l’avortement, a tenu une conférence de presse au parlement, en matinée, pour discuter du projet de loi d’initiative parlementaire C-311, qu’elle a déposé en janvier dernier.

Il propose d’amender le Code criminel afin d’y inscrire que « le fait d’agresser sciemment une femme enceinte » ou lui « causer des dommages corporels ou moraux » deviennent des « circonstances aggravantes aux fins de détermination de la peine ».

« Le Canada a besoin de ce projet de loi », a plaidé Mme Wagantall au micro, entourée de gens qui ont vécu une tragédie de la sorte, et qui espèrent selon elle que « le Parlement prenne cette position courageuse pour les femmes ».

« Ça n’a rien à voir avec l’avortement », a soutenu la députée Wagantall, assurant que « d’un point de vue juridique », cela ne mènerait pas à la reconnaissance du statut du fœtus, tout en invitant les médias à « faire leurs recherches ».

Elle a également assuré, et ce, sans équivoque que le chef Pierre Poilievre était en faveur de C-311, dont les chances d’adoption sont assez minces, comme c’est le cas pour la vaste majorité des projets de loi d’initiative parlementaire.

« Pas de surprise »

Une quinzaine de minutes plus tard, dans un édifice parlementaire situé de l’autre côté de la rue Wellington, la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, Marci Ien annonçait du financement pour renforcer l’accès à des services d’interruption de grossesse au Canada.

Elle n’a pas voulu dire clairement si l’initiative de Mme Wagantall pourrait menacer le droit à l’avortement au pays, mais elle a fait valoir que les libéraux ne formaient pas un gouvernement « qui trompera les gens [de manière] à limiter l’accès des femmes de notre pays à se faire avorter ».

La dernière tentative de la députée conservatrice de rouvrir le débat sur l’avortement a fait chou blanc. En juin 2021, son projet de loi C-233 sur les avortements en fonction du sexe a été battu en deuxième lecture, à 248 voix contre 82.

Les conservateurs l’avaient très majoritairement appuyée, mais tous les élus du caucus du Québec s’y étaient opposés.

« Écoutez, il n’y a pas de surprise », s’est animée la ministre Mélanie Joly en marge d’une annonce.

« Chaque session, le Parti conservateur, qui est proche du milieu antiavortement, essaie de créer une brèche, et de faire en sorte de faire reculer les droits des femmes au pays. On l’a vu, il s’inspire de ce qui se passe aux États-Unis, ils essaient d’importer ici au Canada certaines tactiques et stratégies », a-t-elle poursuivi.

La démarche de Mme Wagantall vise essentiellement, selon elle, « à faire par la porte d’en arrière ce que les groupes antiavortement veulent faire au pays ».

« Ce qui inquiète, c’est la politisation et la judiciarisation »

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a juré, comme ses prédécesseurs avant lui, que le débat sur l’avortement resterait clos sous sa houlette, et qu’il laisserait ses députés voter librement dans l’éventualité où un projet de loi d’initiative parlementaire était mis aux voix.

La formation dément vigoureusement que le projet de loi C-311 constitue une tentative de rouvrir le débat.

Membre de la Chaire de recherche du Canada en sociologie des conflits sociaux, Véronique Pronovost note qu’il « existe une jurisprudence étoffée au Canada qui protège le droit à l’avortement contre l’adoption de lois fédérales restreignant l’accès ou invalidant le droit », et qu’une « éventuelle loi fédérale serait sans doute bloquée par les tribunaux canadiens ».

En revanche, même si la députée Wagantall n’avait pas cette intention, le mouvement antiavortement pourrait s’en emparer, indique la doctorante au Département de sociologie de l’UQAM.

« Ce qui inquiète, c’est la politisation et la judiciarisation de l’enjeu : la création d’une fenêtre d’opportunité favorisant la mobilisation des forces contre l’avortement et réouverture du débat dans la société – alors que l’on sait que l’on ne débat pas à armes égales (désinformation, démagogie) », illustre-t-elle.