(Sherbrooke) Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a respecté les règles en nommant un ami comme juge, et ce, même s’il n’a pas informé le Conseil des ministres de sa relation de longue date avec lui, soutient François Legault.

Le premier ministre reconnaît qu’il ignorait avant vendredi matin que le nouveau juge de la Cour du Québec Charles-Olivier Gosselin était un proche de M. Jolin-Barrette. Il affirme que celui-ci n’avait pas à le lui dire de toute façon lors de la réunion du Conseil des ministres qui a entériné sa recommandation.

« Il y a chaque semaine beaucoup de nominations qui sont adoptées par le Conseil des ministres, et puis la seule question que je pose, c’est : est-ce que les règles ont été suivies ? Et on ne commence pas à débattre au Conseil des ministres », a-t-il affirmé lors d’une mêlée de presse dans une ferme de floriculture de Sherbrooke, vendredi, à la veille du congrès de son parti.

François Legault a plaidé qu’un comité de sélection indépendant fait l’analyse des candidatures au poste de juge et soumet jusqu’à trois noms au ministre de la Justice. Ce dernier fait son choix, puis recommande la nomination au Conseil des ministres.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre François Legault à la période des questions, jeudi

Le premier ministre a répondu qu’il ignore si M. Gosselin était le seul nom proposé par le comité de sélection.

« Comment peut-on parler d’un conflit d’intérêts à partir du moment où les personnes sont choisies par un comité indépendant ? », a lancé François Legault. Et « le ministre n’est pas au courant » des candidatures analysées par le comité, selon lui.

Les règles imposées aux membres de son cabinet permettent-elles à un ministre de nommer un ami ? « Oui », a-t-il répondu. Et Simon Jolin-Barrette devait-il l’informer de sa relation d’amitié avec M. Gosselin au moment de procéder à la nomination ? « Non. »

Controverse

Deux nominations récentes de juge de Simon Jolin-Barrette sèment la controverse. En plus de nommer un ami au poste de juge de la Cour du Québec dans la capitale, il a choisi un avocat de Longueuil pour un poste à Sept-Îles après avoir annulé un premier appel de candidatures.

Le Soleil a rapporté vendredi que le ministre a nommé Charles-Olivier Gosselin, âgé de 36 ans, au poste de juge de la Cour du Québec, un ami dont il a célébré le mariage. Ce dernier a été admis au Barreau en 2011.

Simon Jolin-Barrette a confirmé au quotidien qu’il était bel et bien un proche de M. Gosselin, mais a affirmé que « la candidature du juge Gosselin a été traitée au mérite ». Cette nomination provoque un malaise au sein du milieu juridique de Québec.

Une autre nomination, survenue au même moment, crée des remous sur la Côte-Nord. Le ministre Jolin-Barrette a nommé Alexandre Germain, un avocat du contentieux du CISSS de la Montérégie-Est, au poste de juge de la Cour du Québec à Sept-Îles. MGermain remplira ses fonctions à la Chambre de la jeunesse et à la Chambre criminelle et pénale à Sept-Îles.

Or, cette nomination a été faite au terme d’un deuxième appel de candidatures. Selon un document consulté par La Presse, un premier appel de candidatures avait été lancé l’an dernier. Le comité de sélection avait remis son rapport au ministre le 12 décembre 2022.

Simon Jolin-Barrette n’a pas fait de nomination à la suite de ce rapport ; il a plutôt lancé un deuxième appel de candidatures pour le même poste. Un comité de sélection a transmis un second rapport au ministre le 6 avril dernier. M. Jolin-Barrette a fait son choix le 3 mai, et la décision a été rendue publique le lendemain par communiqué.

Les avocats ayant soumis leur candidature lors du premier avis de concours n’étaient pas autorisés à le faire à nouveau lors du deuxième appel de candidatures, tel que le stipule le document.

Ce revirement a semé la grogne à Sept-Îles. Le maire Steeve Beaupré, un ex-procureur de la Couronne, déplore qu’en procédant ainsi, on ait « disqualifié tous les avocats de la Côte-Nord » qui avaient le potentiel d’être nommés dans le cadre de ce processus. Il s’explique mal pourquoi un candidat de l’extérieur de la région a été retenu, ce qui n’est pas coutume, dit-il.

« Je suis convaincu que [M. Germain] a les compétences professionnelles », a-t-il expliqué en entrevue à La Presse. « Mais, c’est quand même quelqu’un qui est envoyé ici. On se bat contre le fly-in fly-out, et […] quelqu’un va venir siéger ici une semaine et, les deux autres semaines dans le mois, va faire du télétravail et de la rédaction de jugement chez eux ? […] Il ne viendra pas s’implanter dans la communauté », prévoit-il.

« La loi prévoit que [le juge] doit avoir une résidence dans le district judiciaire, mais une résidence… c’est facile pour lui de se louer un appartement et de garder un condo à Longueuil », lance M. Beaupré. Le maire s’inquiète également des connaissances du nouveau juge en matière de droit autochtone alors que les Innus sont surreprésentés dans les dossiers de protection de la jeunesse sur la Côte-Nord.

Le ministre a décliné notre demande d’entrevue. Son cabinet a indiqué dans un courriel à La Presse que le poste du district de Mingan « a effectivement été plus difficile à combler » et « a nécessité l’ouverture d’un second concours ». Or, selon nos informations provenant de deux sources, plusieurs candidats avaient soumis leur candidature lors du premier appel.

Dans son message écrit, le cabinet se contente de rappeler la procédure de nomination des juges.

Alexandre Germain a été admis au Barreau en 2008. Depuis 2020, il exerçait sa profession au sein du contentieux du CISSS de la Montérégie-Est. Il est issu du Barreau de Longueuil, qui s’est réjoui de sa nomination sur les réseaux sociaux.

Conflit avec la Cour du Québec

Cette controverse survient au moment où le ministre Simon Jolin-Barrette a relancé les hostilités avec la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau, trois semaines après avoir conclu avec elle une entente sur le long conflit concernant l’horaire des juges.

Le ministre de la Justice a en effet déposé un projet de loi pour serrer la vis au Conseil de la magistrature. En plus d’ajouter 14 postes de juge à la Chambre criminelle et pénale, ce projet de loi vise à « revoir le mode de financement du Conseil de la magistrature ainsi que l’encadrement de ses prévisions budgétaires ». Le Conseil ne serait plus financé « à même le fonds consolidé du revenu », mais plutôt par « les crédits votés annuellement à cette fin par l’Assemblée nationale ». Un changement majeur, puisque le financement du Conseil pourrait ainsi être limité par les élus.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La juge Lucie Rondeau

C’est une attaque contre l’indépendance judiciaire, l’efficacité des tribunaux et l’accès à la justice, aux yeux de la juge en chef Lucie Rondeau, également présidente du Conseil de la magistrature. Simon Jolin-Barrette a justifié son intervention en rappelant que le conseil a dépensé plus que le budget prévu, surtout pour financer des contestations judiciaires contre des dispositions de sa réforme de la loi 101 (projet de loi 96) portant sur le bilinguisme des juges.