(Sherbrooke) Même s’il s’agit d’une mesure « d’exception », Simon Jolin-Barrette a admis dimanche avoir annulé, « dans l’intérêt de la justice », cinq appels de candidatures au poste de juge depuis 2020. Et désormais, le ministre de la Justice avisera le Conseil des ministres lorsqu’il procédera à la nomination d’une connaissance.

La controverse autour de la nomination de deux juges de la Cour du Québec a porté ombrage au gouvernement Legault pour la deuxième journée consécutive, alors que les militants de la Coalition avenir Québec étaient réunis en congrès, à Sherbrooke. Dimanche, le ministre Simon Jolin-Barrette a eu à défendre cette fois son choix d’annuler un appel de candidatures au poste de juge à Val-d’Or, comme l’a rapporté La Presse.

« Le processus a été suivi dans ce cas-là aussi, il arrive des circonstances exceptionnelles où on doit faire un deuxième avis », a plaidé le ministre de la Justice, refusant de fournir les motifs justifiant une telle mesure.

De l’aveu même du premier ministre, il s’agit d’une mesure « d’exception ». La présidente du Conseil du trésor et ex-ministre de la Justice, Sonia LeBel, a affirmé « que la possibilité existe », mais que cela ne se « présente pas de façon très fréquente ».

L’annulation d’un premier appel de candidatures sème d’ailleurs la grogne à Sept-Îles, alors qu’un avocat de Longueuil, Alexandre Germain, vient d’être nommé juge de la Cour du Québec dans le district de Mingan, sur la Côte-Nord. M. Germain a été sélectionné à l’issue du second appel de candidatures.

Des acteurs d’expérience du milieu juridique consultés par La Presse ont tous affirmé qu’il s’agissait effectivement d’une intervention rarissime.

Or, le ministre de la Justice a révélé dimanche qu’il avait annulé cinq appels de candidatures depuis 2020. Dans le cas de Sept-Îles et de Val-d’Or, les évènements sont survenus autour de la même période, l’hiver dernier. En Abitibi-Témiscamingue, le processus de nomination n’est pas encore terminé.

« Dans l’intérêt de la justice, il faut parfois un second concours. C’est même arrivé parfois qu’à la suite de l’annulation d’un deuxième concours […], qu’un concours soit tout simplement annulé », a expliqué le ministre en mêlée de presse. M. Jolin-Barrette affirme que le recours à cinq reprises à cette mesure « n’est pas inquiétant ». Il n’y voit pas non plus de lien avec la pénurie d’avocats présente dans certaines régions.

Le premier ministre a affirmé samedi qu’il était « normal » que le ministre choisisse un candidat selon ses exigences, quitte à écarter les recommandations du comité de sélection. « Ça se peut que, dans ce cas-là, la ou les propositions ne répondaient pas aux exigences que le ministre souhaitait. Donc, il a recommandé au comité de refaire une autre ronde », a indiqué M. Legault.

Dimanche, M. Legault n’a pas voulu indiquer ce qu’il entendait par « exigences », mais il a précisé sa pensée. « Je pense que le ministre a une certaine responsabilité de porter un jugement sur les candidats et candidates, à savoir : est-ce que ce sont les bonnes personnes ? », a-t-il indiqué au terme du congrès. « Je ne vois pas le travail du ministre comme étant quelqu’un qui estampille la décision », a ajouté le premier ministre.

Déménagement à Sept-Îles

Simon Jolin-Barrette a répondu aux critiques du maire de Sept-Îles, Steeve Beaupré, qui se disait inquiet en entrevue avec La Presse que le nouveau juge ne « s’implante » pas dans sa communauté. « On se bat contre le fly-in, fly-out », avait critiqué le maire Beaupré, ex-procureur de la Couronne. « C’est facile pour lui de se louer un appartement [à Sept-Îles] et de garder un condo à Longueuil », avait-il ajouté.

Le ministre a tenu à remettre les pendules à l’heure : « Ça arrive fréquemment que des juges, au moment de leur nomination, ne résident pas dans le district judiciaire dans lequel ils sont nommés, et à ce moment-là, ils prennent l’engagement de déménager », tel que l’exige la loi, a expliqué le ministre.

Le concept de résidence [dans la loi], c’est le fait d’y demeurer, ce n’est pas d’avoir un condo, de faire du fly-in, fly-out. Dans le cas du dossier de Sept-Îles, le juge Germain va devoir déménager dans le district judiciaire de Mingan, et il s’est engagé à le faire avec sa famille.

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice

Le ministre a dit « comprendre » que des gens de Sept-Îles soient « déçus » qu’un candidat de la région n’ait pas été retenu. « Mais ça ne signifie pas que le juge Germain n’est pas quelqu’un de compétent, qu’il n’est pas quelqu’un d’intègre, d’impartial. […] Cependant, ce n’est pas le candidat qui a été recommandé » par le comité de sélection indépendant, a précisé M. Jolin-Barrette.

Ce comité de sélection indépendant fait l’analyse des candidatures au poste de juge et soumet jusqu’à trois noms au ministre de la Justice. Ce dernier fait son choix, puis recommande la nomination au Conseil des ministres.

Changement de règlement

Par ailleurs, à la suite de la controverse autour de la nomination de son ami Charles-Olivier Gosselin au poste de juge de la Cour du Québec dans la capitale, Simon Jolin-Barrette admet que si une situation similaire se présente de nouveau, il en avisera les membres du Conseil des ministres.

Très certainement, suite aux deux derniers jours, et dans l’éventualité où la même situation se représenterait […], je soulignerais.

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice

Il s’est aussi dit ouvert à modifier le règlement sur la procédure de sélection des candidats à la fonction de juge de la Cour du Québec.

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Selon le règlement, un membre du comité de sélection est tenu de se récuser à l’égard d’un candidat « s’il existe une crainte raisonnable qu’il puisse être partial ». Cette disposition n’existe pas pour le ministre en titre. « Je suis ouvert à modifier le règlement pour ajouter une disposition comme celle-ci pour faire en sorte de clarifier les choses », a soutenu M. Jolin-Barrette.