Aimeriez-vous pouvoir décider de votre salaire ? C’est ce que doivent faire les élus municipaux au Québec, ce qui les place dans une position inconfortable, puisqu’ils sont payés avec l’argent des contribuables.

Au cours des derniers mois, la question de leur rémunération a suscité des débats au sein de plusieurs conseils municipaux de la province. Preuve que la question est délicate : le président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) a refusé de nous accorder une entrevue à ce sujet.

À Trois-Rivières, le débat sur les salaires a fait des flammèches. Un comité ad hoc sur cet enjeu, présidé par le conseiller Pierre Montreuil, a proposé l’automne dernier une hausse de 17 % du salaire des conseillers municipaux, pour qu’il atteigne 30 % de la rémunération du maire, plutôt que 25 % en ce moment. Les conseillers, qui gagnaient 37 096 $ en 2022, auraient vu leur salaire passer à 43 574 $.

Le comité s’était basé sur le traitement salarial des élus dans quatre autres villes du Québec. Comme il s’agit d’une question litigieuse, le maire avait posé comme condition que les élus soient unanimes à approuver cette hausse, qui a été soumise au conseil municipal en décembre dernier. Or, un conseiller de l’opposition était contre. Tous les élus ont donc dû se contenter d’une hausse de 3,8 %.

De plus en plus complexe

« Je continue de croire qu’un rattrapage est nécessaire », a souligné Pierre Montreuil en entrevue.

Notre fonction est de plus en plus complexe, on navigue dans un contexte toujours délicat, sous les projecteurs, et la population est de plus en plus allumée et critique de notre travail. […] Tout le monde s’entend pour dire que c’est un job à temps plein, mais on n’a pas le salaire en conséquence.

Pierre Montreuil, conseiller municipal à Trois-Rivières

« Par respect pour la fonction, il faudrait un ajustement. On pourrait même aller jusqu’à 35 ou 40 % du salaire du maire. Personne ne fait de politique pour s’enrichir, mais il faut quand même une rémunération équitable et acceptable », poursuit M. Montreuil.

À Laval, au contraire, le rattrapage salarial pour les conseillers municipaux est passé comme une lettre à la poste l’automne dernier : au 1er janvier 2023, la rémunération de base des membres du conseil municipal est passée de 33 780 à 54 000 $ par année, une hausse de 60 %.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le maire de Laval, Stéphane Boyer

« La rémunération de base des élus lavallois n’avait pas été revue depuis plus de 20 ans et se classait au 9e rang parmi les 10 plus grandes villes du Québec. La Ville de Laval a donc augmenté la rémunération de base des élus en se basant sur la moyenne des grandes villes. Avec cette révision de la rémunération, nous reflétons mieux le travail grandissant des élus municipaux », souligne Élizabeth Lemay, porte-parole du maire Stéphane Boyer.

Des baisses pour les maires de Laval et de Longueuil

Le maire de Laval avait réduit son salaire de base de 30 000 $ au début de 2022. Cette année, il touchera sensiblement le même salaire de base, soit 128 310 $. Mais comme il est aussi vice-président de la CMM et qu’il siège au comité exécutif de l’ARTM, sa rémunération totale est de 196 926 $, soit la plus élevée parmi les 15 plus grandes villes du Québec.

La mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, avait aussi réduit son salaire de 2022, de 65 000 $. Sa prédécesseure, Sylvie Parent, a longtemps été l’élue municipale la mieux payée au Québec, avec un revenu total de 232 000 $, en raison de ses fonctions au sein des instances régionales. Dorénavant, Mme Fournier gagne 179 127 $ au total, après une hausse de 6,7 % pour 2023, soit l’équivalent de l’inflation.

C’est Rémy Trudel, professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et ex-ministre des Affaires municipales, qui a étudié les salaires à Laval et à Longueuil et qui a recommandé les changements adoptés.

« Pour la mairesse, on ne pouvait pas soutenir l’accumulation des revenus, son salaire n’avait pas de bon sens », reconnaît-il.

17 $ de l’heure

Mais pour les conseillers municipaux de Laval, un redressement était nécessaire, dit-il. « Étant donné le nombre d’heures que les conseillers consacrent à leur travail, leur rémunération revenait à 17 $ de l’heure. Dans les grandes villes, les responsabilités se multiplient, il y a des comités et des réunions, et les élus doivent se garder du temps pour être disponibles pour les citoyens. »

Selon M. Trudel, Québec devrait fixer les salaires des élus, en les révisant à la hausse.

Les conseils municipaux sont toujours soumis aux aléas du contexte, ce n’est jamais le bon moment pour eux d’augmenter leurs salaires, parce que la population ne sera jamais d’accord. Dans certaines petites municipalités, les montants prévus sont ridicules.

Rémy Trudel, professeur à l’École nationale d’administration publique

« Il y a des maires à 6000 $ dans des petites municipalités. Qui va-t-on attirer avec des salaires comme ça ? C’est nécessairement quelqu’un qui a un autre job ou qui est à la retraite. Il faut se sentir un peu missionnaire », illustre Marc Chartrand, de la firme PCI.

M. Chartrand a préparé le guide de rémunération que l’UMQ offre à ses membres pour déterminer les salaires des élus. Ce guide peut être utilisé par les villes, à leur discrétion.

« Depuis 2015, plusieurs responsabilités ont été balayées vers les municipalités, ce qui rend le travail des élus plus complexe. Il faut des connaissances en droit, en urbanisme, en fiscalité, etc. », note-t-il.

Alors, comment procéder pour fixer un salaire juste ?

Le guide de l’UMQ a déterminé cinq critères principaux :

  • Population permanente et saisonnière
  • Cote de complexité (basée sur la richesse foncière, les services offerts, etc.)
  • Présence sur le territoire d’institutions gouvernementales et d’entreprises (ex. : cégep, université, hôpital, mine, usine, etc.)
  • Superficie du territoire
  • Aspects géographiques et climatiques (ex. : lacs, rivières, montagnes, etc.)

« Il y a plusieurs petites villes avec un haut niveau de complexité où le salaire est insuffisant », remarque Marc Chartrand, en citant l’exemple de Bromont, qui verse sans doute à ses élus un meilleur salaire que des villes de plus grande taille, parce qu’on y trouve beaucoup de villégiateurs, un centre de ski, un parc industriel, sur une vaste superficie.

Du côté de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, on indique qu’il n’est pas question pour l’instant de se mêler de la rémunération des élus municipaux.

« Les conseils municipaux ont tous les leviers entre leurs mains pour prendre une décision sur la hausse de leurs salaires », tranche Léonie Bernard-Abel, attachée de presse de la ministre.