(Ottawa) La pandémie a sonné le glas du fonctionnement traditionnel des travaux au Parlement. Le gouvernement Trudeau a fait adopter, jeudi soir, avec l’appui du NPD, une motion visant à pérenniser le modèle hybride (virtuel et en personne) apparu durant la crise sanitaire, au grand dam des conservateurs, des bloquistes… et d’un ancien député libéral, qui n’y était pas allé par quatre chemins pour dire que cette avenue lui semblait malavisée.

« Si vous ne voulez pas travailler à Ottawa pendant les sessions parlementaires, ne vous présentez pas pour être député. Un Parlement hybride avait du sens pendant la COVID, mais ce modèle ne devrait jamais être permanent », a écrit sur Twitter l’ex-ministre libéral Wayne Easter il y a quelques jours.

« D’accord à 100 % », lui a répondu l’ancienne députée et ministre conservatrice Lisa Raitt.

Ce n’est pas l’avis du gouvernement Trudeau, cependant.

Le leader du gouvernement à la Chambre des communes, Mark Holland, a affirmé en déposant la motion, la semaine dernière, qu’il s’agissait d’un « moment important pour le Parlement » envoyant le signal que le lieu est ouvert à tous, y compris à quiconque a des enfants et cherche une meilleure conciliation travail-famille.

Dans la dernière année, il s’est installé une nouvelle normalité qui permet de s’assurer non seulement que le gouvernement est imputable, mais aussi que les députés ont la flexibilité d’être dans leur comté […] Les nouvelles règles ont bien fonctionné et ont été utilisées de manière responsable.

Le leader du gouvernement à la Chambre des communes, Mark Holland

La motion parrainée par M. Holland a été approuvée jeudi soir, avec le soutien du Nouveau Parti démocratique (NPD).

Conservateurs et bloquistes mécontents

Le gouvernement Trudeau avait déposé au préalable une motion pour limiter le débat, elle aussi adoptée grâce au NPD, suscitant l’ire du Parti conservateur et du Bloc québécois.

Dans un camp comme dans l’autre, on assure ne pas être contre le modèle hybride en tant que tel.

C’est plutôt la façon dont les libéraux ont choisi de procéder qui les hérisse.

« Le gouvernement choisit d’imposer un changement majeur sans travailler pour obtenir un consensus de tous les partis. Habituellement, ça se ferait par consensus, mais parce que cette fois, ils ont un partenaire de coalition, ils y vont par vote », se désole le conservateur Luc Berthold.

Les conservateurs auraient voulu greffer à la motion une date d’échéance, pour que celle-ci soit valide jusqu’à un an après l’élection du prochain gouvernement, explique-t-il, convenant que la préférence aurait été de « faire comme tous les autres parlements, de rester comme ça et d’insérer de la technologie par étapes ».

Son collègue bloquiste Alain Therrien se souvient pour sa part avoir dit à Mark Holland « qu’on n’était pas contre le mode hybride, mais qu’il fallait en discuter ». Sur sa liste de souhaits : des ministres présents, un maximum de 40 députés en mode virtuel, entre autres propositions.

« Il n’est pas revenu me voir, Mark », regrette le chef parlementaire du Bloc québécois en Chambre.

Les élus soulignent que les travaux virtuels désavantagent les francophones de façon disproportionnée.

Car ce sont eux qui se heurtent à des problèmes d’interprétation plus fréquemment en mode virtuel, le son n’étant pas optimal pour les interprètes – ceux-ci ont d’ailleurs été nombreux à tomber au combat pendant la pandémie en raison de blessures auditives.

« C’est nous qui subissons le plus de conséquences. Il se fait des réunions quand même, mais parfois, il se fait des réunions juste en anglais », regrette Luc Berthold.

Le NPD fervent du modèle hybride

Les chances que la motion soit avalisée étaient assez bonnes, les néo-démocrates ayant toujours apprécié le modèle hybride.

Il faut dire que 13 des 25 députés que compte la formation représentent des circonscriptions de la Colombie-Britannique. Les allers-retours hebdomadaires entre la province de l’Ouest et la capitale fédérale sont donc plus longs que ceux de nombreux élus ontariens ou québécois.

C’est ce qu’a répliqué Gord Johns, député de Courtenay–Alberni, sur l’île de Vancouver, à Wayne Easter.

« J’ai énormément de respect pour toi, Wayne, mais c’est facile pour toi de dire cela en tant qu’ancien député de l’Île-du-Prince-Édouard […] Mes QUATRE derniers voyages de l’île de Vancouver à Ottawa ont pris plus de 20 heures [plutôt que 11 au total] en raison de perturbations de vols », a-t-il illustré.

Au néo-démocrate ainsi qu’aux autres qui brandissent cet argument, Alain Therrien présente celui-ci : « Quand tu te présentes aux élections fédérales, il me semble que tu sais que tu vas aller à Ottawa. »