La ministre de la Défense affirme « progresser » vers la cible de dépenses militaires de 2 % du PIB, sans toutefois s’engager à l’atteindre

(Ottawa) Accusé dans un éditorial du Wall Street Journal d’être un « passager clandestin » de l’OTAN en raison de ses « pitoyables » investissements en défense, le Canada refuse toujours de proposer une feuille de route en vue de l’atteinte de la cible de 2 %.

L’objectif a pourtant été réaffirmé, et identifié comme un plancher, la semaine dernière dans le communiqué de clôture du sommet de Vilnius : « Nous nous engageons, dans la durée, à consacrer chaque année au moins 2 % de notre produit intérieur brut (PIB) à la défense », y lit-on.

Les récentes données publiées par l’alliance politico-militaire chiffrent à 1,38 % les dépenses militaires du Canada par rapport à son PIB – un progrès significatif, mais insuffisant. Et contrairement au futur membre de l’OTAN, la Suède, qui prévoit atteindre les 2 % en 2026, le gouvernement canadien n’a pas fixé d’échéancier.

« C’est un objectif important. Nous progressons vers ce but », indique en entrevue la ministre de la Défense, Anita Anand. Elle cite des chiffres : 88 chasseurs F-35 dans le carnet de commandes, 40 milliards sur deux décennies pour moderniser le NORAD, 70 % de hausse des dépenses dans la politique de défense de 2017.

Elle évite toutefois soigneusement de dire si, oui ou non, le Canada s’engage à atteindre le seuil de 2 %. Elle ne veut pas non plus indiquer si la révision de la politique de défense, laquelle « progresse bien » et dont on entendra parler « dans les semaines à venir », comprendra un plan d’action en ce sens.

Comptabilité contestée

En fait, la ministre Anita Anand laisse entendre que le gouvernement espère convaincre ses partenaires de l’OTAN de revoir la méthode de calcul du fameux 2 %, une revendication de longue date. Certains observateurs ont déjà remis en question, notamment, l’utilisation du PIB comme étalon.

Peu de pays peuvent dire qu’ils ont formé 36 000 soldats ukrainiens, et nous voulons nous assurer que ces contributions soient reconnues. Les discussions entre le Canada et ses alliés de l’OTAN se poursuivent, et nous en dirons plus au cours des jours à venir.

Anita Anand, ministre de la Défense du Canada

Autre élément à prendre en compte : ce n’est pas en déliant largement les cordons de la bourse que la cible sera forcément atteinte. L’argent alloué doit être dépensé. Or, le processus d’acquisition est long, et les Forces armées canadiennes sont en pénurie de personnel.

« On doit avoir un plan pour dépenser l’argent en défense. Ce n’est pas simplement une question de mettre beaucoup d’argent », fait valoir à l’autre bout du fil Mme Anand, de retour de Vilnius, en Lituanie, où se tenait la semaine dernière le sommet de l’OTAN.

Le Canada dans la ligne de mire

C’est au dernier jour de la réunion que le Wall Street Journal a publié un éditorial cinglant visant Ottawa.

Justin Trudeau était en Lituanie [la semaine dernière] pour le sommet annuel de l’OTAN, mais c’est dommage qu’il n’y ait pas eu de table pour les enfants où il aurait pu s’asseoir. C’est là que devrait être son pays en raison de la faiblesse de l’engagement d’Ottawa envers la défense de l’Alliance.

Extrait de l’éditorial du Wall Street Journal

L’équipe éditoriale reproche au Canada d’avoir une vision de l’armée relevant davantage du « projet social » que de la « force de combat », citant l’exemple de l’élément de la lettre de mandat de Mme Anand, qui date d’avant l’invasion russe en Ukraine, où il est question de lutte contre l’inconduite sexuelle.

« On se demande quelle utilité aurait ce manifeste culturel sur les lignes de front ukrainiennes », raille-t-on.

Si le texte a agacé Mme Anand, celle-ci le dissimule bien. Au lieu d’y réagir, elle se dit certaine que la population canadienne, de tradition moins militariste que celle des États-Unis, voit la nécessité de réinvestir en défense.

« Les Canadiens nous appuient », estime-t-elle.

Entrée de la Suède : pacte avec la Turquie ?

Le bureau de la ministre Anita Anand a transmis au bureau du premier ministre l’information voulant qu’à l’approche du sommet de Vilnius, le Canada ait conclu un pacte avec la Turquie afin de convaincre celle-ci d’accepter la candidature de la Suède comme 32e membre de l’alliance née en 1949.

Selon l’agence de presse Reuters, Ottawa aurait accepté de réévaluer l’embargo sur les exportations d’armes à Ankara en contrepartie. Les livraisons ont été stoppées puisqu’une technologie canadienne a été retrouvée dans des drones turcs employés par l’Azerbaïdjan contre les forces arméniennes dans le Haut-Karabakh.

Les contrôles à l’exportation qui ont été imposés à la Turquie « pour des raisons importantes » sont « toujours en vigueur », a-t-on indiqué au bureau de Justin Trudeau.

« Le Canada demeure fidèle au principe selon lequel il ne doit y avoir aucune restriction, aucun obstacle ni aucune sanction concernant les échanges commerciaux et les investissements en matière de défense entre les alliés », a-t-on ajouté.