(Ottawa) Le Canada ira de l’avant avec sa taxe pour les géants qui fournissent des services numériques en janvier 2024, faisant la sourde oreille aux vives protestations en provenance des États-Unis.

La ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, a confirmé que la décision d’Ottawa n’avait pas changé lors d’une conférence téléphonique, mardi.

« C’est dans notre intérêt national », a-t-elle plusieurs fois plaidé de l’aéroport de New Delhi, en Inde, où elle participait à la rencontre des pays du G20.

« Nos partenaires comprennent notre approche », a aussi assuré la grande argentière.

Le gouvernement choisit de garder le cap même si les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont convenu de suspendre son application pendant au moins un an.

Le geste unilatéral déplaît à certains pays, en particulier aux États-Unis.

Et la représentante américaine pour le commerce, Katherine Tai, l’a communiqué à la ministre canadienne du Commerce international, Mary Ng.

Elle a « exhorté le Canada à s’abstenir d’imposer une taxe sur les services numériques », est-il écrit dans un compte rendu publié par Washington à l’issue d’un tête-à-tête s’étant tenu il y a quelques jours.

La taxe de 3 % vise les entreprises étrangères qui tirent des revenus de l’engagement, du contenu ou des données des utilisateurs canadiens.

Elle s’appliquerait aux revenus d’entreprises de services numériques comme Google, Facebook et Amazon – bref, en bonne partie à des géants établis aux États-Unis.

Selon étude publiée en juillet par le EU Tax Observatory, les entreprises américaines représentent environ 46 % des entreprises couvertes par le premier pilier de la réforme fiscale internationale.

Celle-ci devrait être approuvée par le Congrès. Or, la longue marche vers la présidentielle est entamée, et les républicains, qui contrôlent la Chambre des représentants, ont déjà exprimé leur opposition.

« Pas une bonne politique commerciale »

Le Conseil canadien des affaires voit aussi d’un mauvais œil la décision du Canada de faire cavalier seul.

D’abord, parce que cela vient contrecarrer la démarche multilatérale, juge son premier vice-président aux politiques publiques, Robert Asselin.

« Ça va juste fonctionner si tout le monde le fait. C’est ça l’idée du processus de l’OCDE, c’est qu’il faut que tout le monde bouge en même temps », explique-t-il en entrevue.

Ensuite, parce que le Canada risque de s’aliéner le voisin américain et de s’exposer à des représailles : « On vient de sortir du traumatisme de la renégociation de l’ALENA ; je ne pense pas que c’est une super idée. »

S’il est vrai que le gouvernement « est désespéré d’avoir des revenus, car il a beaucoup dépensé », il reste que « ce n’est pas une bonne politique commerciale par rapport aux Américains », estime Robert Asselin.

Taxe retardée à contrecœur

La ministre Freeland avait annoncé dans sa mise à jour économique de 2020, puis dans son budget de 2021, l’entrée en vigueur prochaine de cette taxe.

Lorsque les pays de l’OCDE ont décidé d’en repousser la mise en œuvre, le gouvernement Trudeau a été bon joueur en acceptant de la mettre sur la glace pendant deux ans, a fait valoir la ministre.

« C’était une concession significative de la part du Canada […] pour aider l’atteinte de l’entente mondiale. Mais à ce point-ci, il est vraiment important pour nous de défendre notre intérêt national », a-t-elle insisté.

La taxe s’appliquerait aux revenus de 20 millions et plus gagnés par une entreprise ou un groupe consolidé affichant un chiffre d’affaires mondial d’au moins 750 millions d’euros (environ 1,1 milliard CAN).

Selon les estimations du ministère des Finances, elle permettrait au Canada d’empocher des revenus supplémentaires d’environ 4,5 milliards par année.

Accroc au multilatéralisme ?

La ministre Freeland a refusé mardi de révéler la nature des objections étrangères.

« C’est aux autres pays d’expliquer leur position », a affirmé celle qui est aussi vice-première ministre, disant espérer qu’il y aura une entente et réitérant son engagement envers le multilatéralisme.

En coulisses au gouvernement, on souligne cependant que les services numériques sont déjà taxés en France, en Italie, en Inde ou encore au Royaume-Uni.

Il n’y a pas pour autant d’urgence, puisqu’au Canada, la taxe sur les services numériques serait rétroactive au 1er janvier 2022, souligne Robert Asselin.

Le NPD et le Bloc tapent du pied

Les libéraux peuvent d’ores et déjà compter sur l’appui des néo-démocrates, qui reprochent néanmoins aux troupes de Justin Trudeau d’avoir « laissé faire pendant des années » ces géants.

Même son de cloche au Bloc québécois, où on la réclame depuis 2019. « Le gouvernement a tout notre soutien s'il maintient l'entrée en vigueur à 2024 », a indiqué le député Martin Champoux.

Le Parti conservateur n’a pas précisé sa position.