En plus des négociations avec le secteur public, la présidente du Conseil du trésor Sonia LeBel a plusieurs fers au feu. Elle déposera cet automne un projet de loi pour mieux protéger les lanceurs d’alerte de la fonction publique.

(Québec) Sonia LeBel veut corriger les failles de la loi visant à protéger les lanceurs d’alerte, un héritage de la commission Charbonneau. Les patrons de la fonction publique ne pourront plus traiter eux-mêmes les dénonciations des membres de leur personnel. Elle envisage de confier tout le traitement des divulgations au Protecteur du citoyen.

C’est jour de rentrée parlementaire à Québec lorsque nous retrouvons la présidente du Conseil du trésor dans ses bureaux de l’édifice Jean-Talon. En apparence austère, le bâtiment que l’on surnomme le « bunker » offre de l’intérieur une vue lumineuse sur le Vieux-Québec.

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Rencontre avec le sous-ministre Patrick Dubé

« Qu’est-ce qu’on a au menu ? », lance avec dynamisme la ministre, en s’installant à la table d’une salle de réunion du cabinet. Son sous-ministre Patrick Dubé ouvre son ordinateur portable et entame une longue énumération qu’il appelle « le kit de la rentrée ».

Le cabinet de Sonia LeBel a offert à La Presse un accès privilégié dans le cadre de la reprise des travaux parlementaires, le 12 septembre. L’automne de l’élue caquiste promet d’être « chaud », pour reprendre les mots du premier ministre François Legault.

Celle-ci pilote pour la seconde fois la renégociation des conventions collectives des quelque 600 000 employés de l’État et le scénario d’une grève générale illimitée dans le secteur public semble vouloir se concrétiser. Les membres du Front commun syndical (FTQ, CSN, CSQ et APTS) voteront cette semaine et jusqu’à la mi-octobre des mandats en ce sens.

Mais celle qui est aussi responsable de l’Administration gouvernementale a plusieurs fers au feu. En haut de la pile : elle veut rouvrir la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics, adoptée en 2017 sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard pour protéger les lanceurs d’alerte.

« La loi [actuelle] n’était pas mauvaise en soi », souligne-t-elle en discutant avec le secrétaire du Conseil du trésor. La ministre exprime alors son intention de « sortir » le processus de divulgation d’actes répréhensibles de « l’administration publique » pour le confier à un tiers « indépendant » comme le Protecteur du citoyen.

« On est sur l’échéancier », lui assure M. Dubé.

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En entrevue avec la journaliste Fanny Lévesque

Un « guichet unique » pour les dénonciations

En entrevue à La Presse, la ministre étaie un peu plus sa pensée.

« Présentement, le processus est à l’interne, c’est-à-dire que tu as un responsable des lanceurs d’alerte qui est désigné, mais ce qu’on avait comme feedback, c’est que les lanceurs d’alerte n’étaient pas toujours à l’aise d’aller voir un collègue des [ressources humaines] ou un cadre pour dénoncer un autre cadre, par exemple », illustre-t-elle.

L’option sur la table est que le traitement des divulgations relève exclusivement du Protecteur du citoyen. Il s’agit par ailleurs de la principale recommandation du rapport sur la mise en œuvre de la loi, signé par le Secrétariat du Conseil du trésor en 2020.

Ce rapport démontrait d’ailleurs que dans plusieurs organismes, des patrons traitent eux-mêmes les dénonciations provenant de lanceurs d’alerte, ce qui perpétue l’omerta et compromet l’indépendance et l’impartialité du traitement des dossiers.

Le gouvernement de la Coalition avenir Québec avait promis en 2018 d’élargir la protection des lanceurs d’alerte. Avant d’agir, le gouvernement Legault disait vouloir qu’une commission parlementaire se penche sur les conclusions du rapport.

La pandémie a forcé son report, si bien que les consultations ont finalement eu lieu à la fin de la session, en juin.

« On a l’intention de donner suite aux consultations avec un projet de loi. Ce n’était pas obligatoire, mais je suis soucieuse de donner le plus de protection possible aux lanceurs d’alerte. Ça fait partie de mon ADN », lance l’ex-procureure en chef de la commission Charbonneau.

« Ce qui ressort beaucoup des consultations, au-delà de nos propositions, c’est le besoin pour le lanceur d’alerte d’être accompagné », ajoute-t-elle.

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Sonia LeBel, ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor

Québec envisage par le fait même la création d’un « guichet unique » pour recueillir les divulgations. C’est ce que réclame le Protecteur du citoyen pour accompagner les lanceurs d’alerte après la dénonciation et les orienter en cas de représailles à l’interne.

Pour l’heure, un lanceur d’alerte peut s’adresser directement au Protecteur du citoyen pour dénoncer une situation ou « au responsable du suivi des divulgations » de chaque ministère. Ce dernier peut alors effectuer des vérifications au sein même de l’organisation.

C’est ce pouvoir qui pose un problème dans certaines situations, a noté le protecteur du citoyen Marc-André Dowd, en juin.

En effet, ce n’est pas sans rappeler le cas de l’agronome Louis Robert qui a été congédié du MAPAQ en 2019 pour avoir dénoncé aux médias l’influence du privé dans la gestion du Centre de recherche sur les grains, un organisme largement subventionné par des fonds publics.

M. Robert avait sonné l’alarme au sein du MAPAQ dès 2017 en s’adressant à la fonctionnaire chargée de traiter la divulgation d’actes répréhensibles. Or, cette dernière n’a donné aucune suite à ses démarches, en plus de divulguer l’identité de M. Robert.

Pour moi, la confiance dans le processus est incontournable. De la confiance découle la protection, parce que pas de protection, pas de confiance.

Sonia LeBel, présidente du Conseil du trésor

Selon elle, le processus actuel de dénonciation est « trop interne » et encore « méconnu ».

La ministre n’a pas voulu indiquer si son projet de loi viendra renforcer la protection d’un lanceur d’alerte qui s’adresse aux médias. En ce moment, il peut être protégé sous certaines conditions si la situation « présente un risque grave pour la santé et la sécurité d’une personne ».

Par le passé, Québec solidaire et le Parti québécois ont présenté des projets de loi pour corriger les lacunes de la loi, comme de l’étendre à davantage d’organismes publics et permettre la dénonciation dans les médias. Ces projets de loi n’ont jamais été appelés par le gouvernement.

Les grands chantiers de Sonia LeBel

Déboulonner les mythes du Trésor

Sonia LeBel nous accueille dans l’ancienne salle du Conseil des ministres où se réunit désormais le comité du Conseil du trésor que l’on surnomme la « soucoupe volante ». Mme LeBel y voit davantage la « tour de contrôle » du gouvernement. « Ici, on voit tout passer », souligne-t-elle. Elle veut déboulonner certains mythes. « Ce n’est pas vrai que ça bloque au Trésor », martèle-t-elle. « Ce n’est pas mon rôle de dire non, je n’ai pas dit non à rien de façon formelle depuis que je suis là. Mon rôle, c’est de m’assurer […] que les fonds publics soient les mieux dépensés et […] aient le maximum de retombées pour le citoyen. »

Renégociation des conventions collectives

La pression s’accentue sur Sonia LeBel tandis que le scénario de grève générale illimitée semble vouloir se concrétiser. Avec sa garde rapprochée, l’élue se prépare d’ailleurs aux questions de ses adversaires de l’opposition. La veille, la présidente de la FTQ, Magali Picard, l’a accusée de désavantager les femmes avec ses offres patronales. « Celle-là, je ne l’accepte pas », réplique Mme LeBel. En entrevue, elle maintient la ligne dure : « Je ne toucherai pas aux paramètres salariaux tant que je n’aurai pas d’ouverture sur la souplesse dont j’ai besoin [dans l’organisation du travail] ». L’offre salariale de Québec est de 11,5 % sur cinq ans, le syndicat demande des hausses de 20 % sur trois ans.

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La ministre LeBel entourée de ses conseillères lors d’une rencontre préparatoire à la période des questions, le jour de la rentrée parlementaire à Québec, le 12 septembre dernier

Modernisation du Code des professions

La ministre LeBel a lancé en mai « un chantier pour alléger et moderniser » le Code des professions. Son intention est de donner les pouvoirs nécessaires à l’Office des professions pour « qu’il puisse pleinement assurer son rôle de protecteur » du public et offrir aux ordres professionnels une « plus grande souplesse » réglementaire. « Je veux être capable d’identifier avec eux des gains rapides. Est-ce qu’il y a des modifications législatives que je peux faire pour leur permettre d’être plus agiles dans leur rôle ? », illustre-t-elle. Mme LeBel donne en exemple les permis de pratique restreints délivrés aux infirmières à la retraite pour leur permettre de vacciner. Des consultations sont prévues cet automne.

Rendre la fonction publique attrayante

Autre dossier. Sonia LeBel, qui a sous sa responsabilité la fonction publique, doit déposer cet automne la nouvelle Stratégie de gestion des ressources humaines 2023-2028. « Le défi, c’est l’attraction de la main-d’œuvre dans la fonction publique. Il faut revaloriser la fonction publique et créer des milieux de travail attractif », plaide-t-elle lors de sa rencontre avec son sous-ministre. La perte d’expertise dans la fonction publique est déplorée depuis des années par les syndicats. La prochaine stratégie doit être « un levier » pour répondre à « la pénurie de main-d’œuvre grandissante », peut-on lire dans le Budget des dépenses 2023-2024. L’élaboration de la nouvelle stratégie a été lancée en 2021.