(Ottawa) Le gouvernement Trudeau refuse de confirmer que le gouvernement Modi aurait ordonné au Canada de rapatrier une quarantaine de ses diplomates – soit les deux tiers des effectifs – d’ici mardi prochain. La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, s’est limitée à signaler que des discussions étaient en cours derrière des portes closes.

Ce qu’il faut savoir

  • Le 18 septembre, le premier ministre Justin Trudeau a fait part aux élus du Parlement d’« allégations crédibles » selon lesquelles l’Inde aurait joué un rôle dans l’assassinat de Hardeep Singh Nijjar.
  • L’Inde a annulé des visas pour des Canadiens et expulsé un diplomate.
  • Le Canada n’a pas annulé de visas, mais a expulsé lui aussi un diplomate.
  • Les allégations concernant l’implication de l’Inde dans l’assassinat de M. Nijjar sont fondées en partie sur la surveillance de diplomates indiens au Canada.
  • Le Washington Post a pu visionner la vidéo du meurtre de Hardeep Singh Nijjar.

La ministre Joly s’est présentée devant les journalistes mardi pour faire une brève déclaration sur les tensions avec l’Inde, qui ont été exacerbées après que Justin Trudeau a accusé New Delhi d’avoir commandité le meurtre d’un leader communautaire sikh, Hardeep Singh Nijjar, sur le sol canadien.

Elle n’a pas voulu confirmer les informations du Financial Times selon lesquelles le gouvernement indien aurait exigé le départ de 41 des 62 diplomates canadiens d’ici le 10 octobre, sous peine de perdre leur immunité diplomatique.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Mélanie Joly

« Nous sommes en contact avec le gouvernement de l’Inde […] Nous poursuivrons nos échanges en privé, car nous croyons qu’il est toujours mieux que les conversations diplomatiques se fassent en privé », a-t-elle déclaré avant la rencontre du Cabinet.

La menace indienne, qui a pour l’instant seulement été rapportée par le Financial Times sur la foi de sources non identifiées, avait peut-être été télégraphiée. Car le 21 septembre dernier, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères avait laissé entendre que le contingent canadien pourrait être amputé.

« Il devrait y avoir une parité dans la présence diplomatique », a alors plaidé Arindam Bagchi.

Le même jour, Affaires mondiales Canada annonçait que « par excès de prudence », la présence du personnel en Inde serait « ajust[ée] temporairement », des diplomates canadiens ayant été visés par des menaces sur les réseaux sociaux.

Le même ministère a refusé mardi de préciser la taille de la délégation canadienne sur le sol indien, citant des « raisons de sécurité et de considérations opérationnelles ».

L’escalade malgré tout

À son arrivée au parlement, mardi matin, Justin Trudeau est aussi tout aussi demeuré vague, en réitérant que le Canada ne cherchait pas « l’escalade » et que l’objectif demeurait de « s’engager de manière responsable et constructive avec le gouvernement indien ».

Invitée à commenter les conséquences d’un possible renvoi des deux tiers de la délégation diplomatique de l’Inde sur le milieu des affaires canadien, la ministre du Commerce international, Mary Ng, a aussi cherché à se montrer rassurante.

Elle a cité les « forts liens interpersonnels » entre les entreprises d’ici et celles qui opèrent sur le sol indien. « J’ai dit aux entreprises canadiennes qu’elles pouvaient continuer à compter sur moi », a affirmé la ministre, qui a annulé à la mi-septembre une mission commerciale en Inde avant l’annonce choc de Justin Trudeau.

Quant au chef de l’opposition officielle, Pierre Poilievre, il a affirmé que le gouvernement Trudeau devait agir avec « professionnalisme » pour juguler la crise, refusant toutefois de dire s’il préconisait l’expulsion de diplomates indiens en guise de représailles.

Si la menace s’avère, Ottawa aura un dilemme à trancher, souligne le politologue Thomas Juneau : « Si on n’a pas une réponse équivalente, donc expulser 41 diplomates, il y a un gros risque. Le message qu’on envoie à l’Inde et à tout le monde, c’est que le Canada peut se faire pousser et qu’il ne répond pas. »

Le gouvernement pourrait aussi réagir de façon « moindre », par exemple en chassant « un plus petit nombre de diplomates, pour essayer d’encourager la désescalade », soulève le professeur agrégé de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa.

Et si les deux tiers du contingent diplomatique canadien plient effectivement bagage, les conséquences seront réelles : il pourrait être plus ardu pour les Canadiens d’avoir accès à une aide consulaire en Inde, des missions commerciales pourraient écoper, et le traitement des dossiers de visas pourrait pâtir, énumère-t-il.

L’Inde se braque

Les allégations formulées le 18 septembre à la Chambre des communes par Justin Trudeau ont été qualifiées d’« absurdes » par l’Inde, qui réclame des preuves, que le Canada assure avoir fournies.

Depuis, le gouvernement Modi a tour à tour expulsé un diplomate canadien, conseillé à ses ressortissants de faire usage de prudence en raison d’« activités anti-indiennes » qui seraient « croissantes » au Canada et suspendu le traitement des demandes de visas.

Le gouvernement Trudeau, pour sa part, a expulsé un diplomate indien.

Dirigeant d’un temple sikh accusé de complot pour meurtre et de terrorisme en Inde, Hardeep Singh Nijjar a été tué par balle devant un temple à Surrey, en Colombie-Britannique, à la fin du mois de juin. Il aurait fait l’objet de menaces de mort en raison de son soutien à un État sikh indépendant du Khalistan, en Inde.

Le gouvernement canadien aurait notamment en sa possession des communications interceptées par les Five Eyes, l’alliance de renseignement réunissant les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande en plus du Canada.

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, dit en avoir discuté avec son homologue indien lors d’une rencontre à Washington. « Nous sommes très préoccupés par les allégations soulevées par le Canada et par le premier ministre Trudeau », a-t-il déclaré vendredi dernier.