(Ottawa) Un comité parlementaire demande au Canada de tenir les géants de la technologie responsables de la publication d’informations fausses ou trompeuses en ligne, en particulier lorsqu’elles sont diffusées par des agents étrangers.

Il s’agissait de l’une des 22 recommandations formulées par le comité d’éthique de la Chambre des communes dans son étude sur l’ingérence étrangère de la Chine et de la Russie.

L’étude a duré 10 mois de travail et comprenait huit réunions publiques au cours desquelles les députés ont entendu 23 témoins.

Le porte-parole du Bloc québécois en matière d’éthique et vice-président du comité, René Villemure, affirme que le Canada doit adopter une position ferme sur cette question, semblable à celle de l’Union européenne, qui a une loi sur la désinformation numérique qui freine la propagande et les discours haineux.

« Il faudra avoir des gants de boxe », a déclaré M. Villemure mardi après la publication du rapport du comité.

Le gouvernement a 60 jours pour répondre, mais la députée libérale et vice-présidente du comité, Mona Fortier, a souligné qu’il s’agissait d’une recommandation à laquelle son parti avait consacré beaucoup d’efforts.

M. Villemure a souligné que les géants du web devront comprendre qu’ils sont des acteurs de changement et non le gouvernement. « Ce qui se passe en ligne façonne fondamentalement la société, et si nous n’agissons pas de manière décisive, ils vont tirer la société vers le bas. »

Le bloquiste a reconnu qu’il n’appartenait pas au comité de déterminer comment demander des comptes aux grandes entreprises technologiques, mais il a cité l’Union européenne comme exemple.

La Commission européenne, le pouvoir exécutif d’un bloc de 27 pays, a récemment mis à l’épreuve sa nouvelle loi numérique dans le cadre de la guerre entre Israël et le Hamas. Des photos et des vidéos du carnage ont inondé les réseaux sociaux, aux côtés de messages d’utilisateurs poussant de fausses déclarations et déformant des vidéos d’autres évènements.

La commission a demandé à Meta et TikTok d’expliquer les mesures qu’ils ont prises pour réduire le risque de propagation et d’amplification de contenus terroristes et violents, de discours haineux et de désinformation. En vertu de la loi, les entreprises pourraient être confrontées à des amendes de plusieurs milliards de dollars si elles ne font pas suffisamment pour protéger les utilisateurs.

Censure en ligne

Les conservateurs fédéraux se sont opposés à la recommandation, affirmant qu’elle soutiendrait la censure en ligne.

« Nous craignons également que cela puisse étouffer le droit de la presse de rendre compte librement de sujets que le gouvernement en place pourrait choisir de qualifier de désinformation nécessitant une réglementation ou une censure », ont écrit les conservateurs dans un rapport dissident.

« Les conservateurs estiment que les efforts devraient plutôt être concentrés directement sur la désinformation commanditée par des États étrangers hostiles, d’une manière qui ne porte pas atteinte à la liberté d’expression ou à la liberté de la presse. »

Le député conservateur et président du comité John Brassard n’était pas présent à la conférence de presse de mardi.

Le porte-parole conservateur en matière d’éthique et de gouvernement responsable, Michael Barrett, estime que le premier ministre Justin Trudeau n’a pas pris au sérieux les menaces d’ingérence étrangère.

Il a déclaré dans un communiqué qu’il y avait eu ingérence dans nos élections et que les Canadiens ont été victimes de harcèlement et d’intimidation de la part de régimes étrangers hostiles.

Il a affirmé que les conservateurs fermeraient les postes de police étrangers illégaux « une fois pour toutes » et introduiraient un registre de l’influence étrangère.

Mais, M. Villemure fait valoir que demander des comptes aux sociétés de médias sociaux telles que Meta et Google n’a rien à voir avec la liberté d’expression.

Meta et Google n’ont pas répondu à une demande de commentaire, mais les deux sociétés ont mis en place des politiques visant à lutter contre la désinformation.

Le député Villemure a aussi annoncé que le Bloc québécois déposera prochainement un projet de loi « pour créer un registre des agents étrangers qui obligera les agents d’influence en provenance de pays étrangers à déclarer leurs activités en sol canadien ».

Dans un communiqué, M. Villemure souligne que les libéraux ont promis en mai dernier la création d’un registre. Selon lui, « rien ne laisse présager » que les libéraux tiendront cette promesse.

« Notre projet de loi devrait avoir l’appui des partis d’opposition et va changer radicalement le traitement qu’on fait des agents étrangers », a déclaré le député de Trois-Rivières dans un communiqué.

Il précise que l’objectif de ce registre est de mieux suivre les activités des agents d’influence de pays étrangers. Il ajoute que plusieurs pays possèdent un tel registre, par exemple l’Australie, le Royaume‑Uni et les États-Unis.

Améliorer la Loi sur le SCRS

Dans son rapport, le comité a fait savoir qu’il avait commencé à enquêter sur l’ingérence étrangère alors que la question faisait l’objet d’une attention médiatique et d’un examen parlementaire accrus, en particulier à la lumière des allégations relatives au financement des candidats aux élections fédérales de 2019 par la Chine.

Étant donné que deux autres comités étudiaient également l’ingérence étrangère, le comité d’éthique s’est concentré sur l’impact des allégations d’ingérence étrangère au Canada et sur les communautés canadiennes.

Le comité recommande également la modernisation de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et la création d’un bureau national contre l’ingérence étrangère.

Les 22 recommandations comprennent également la création d’un registre des agents étrangers, ce qui, selon Mme Fortier, est la « volonté du gouvernement ».

Le rapport demande également au gouvernement d’améliorer l’accès aux informations déclassifiées et d’ordonner au Service canadien du renseignement de sécurité de partager les informations pertinentes avec le public.

D’autres recommandations incluent le renforcement des sanctions et des règles concernant les fuites de renseignements sur la sécurité nationale, permettant au SCRS d’avertir directement les députés en cas de menace liée à l’ingérence étrangère et la mise à jour de la politique pour inclure les menaces d’ingérence étrangère utilisant l’intelligence artificielle.

Le comité souhaite également davantage de formation pour les parlementaires et les fonctionnaires sur l’ingérence étrangère, et renforcer les mécanismes de signalement pour les personnes intimidées par des entités étrangères. Il propose une modification du Code criminel afin de créer des sanctions couvrant toutes les opérations d’ingérence étrangère, y compris le harcèlement et l’intimidation de la part d’un État étranger.

Les conservateurs ont proposé une recommandation dans leur rapport dissident : demander au gouvernement d’entreprendre une vérification judiciaire de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.

Le comité a publié une étude de cas portant sur des allégations d’ingérence étrangère par le biais d’un don à la fondation. Mais à la lumière des éléments de preuve, la commission a déclaré qu’elle ne pouvait pas prendre de position définitive sur cette affaire.

« Nous avons consacré beaucoup de temps à la Fondation Trudeau. Le temps a été mis en place afin de découvrir ce qui s’est passé, a fait valoir M. Villemure. Mais nous n’étions pas d’accord sur davantage que ce qui a été écrit. »

Avec des informations de l’Associated Press.